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CARRAU.la philosophie religieuse de berkeley

moins dangereux de dire tout uniment que Dieu est parfait. — Il y a de l’ordre dans l’univers : qui le nie ? Mais ne nous demandons pas si cet ordre est immuable, car nous risquerions d’en faire la manifestation nécessaire d’une activité aveugle, inhérente aux choses mêmes : c’est la doctrine de Straton, de Spinoza, à laquelle conduisent tout droit et le mécanisme de Descartes et de Newton, et même le dynanisme de Leibniz. Le mouvement n’est que dans l’esprit[1], la gravitation n’explique rien ; loin d’être une cause, elle n’est qu’une induction fondée sur un certain nombre d’expériences, un symbole qui ne représente même pas tous les faits ; « les étoiles fixes ne s’attirent pas réciproquement ; la croissance perpendiculaire des plantes, l’élasticité de l’air, s’expliquent par un principe entièrement contraire à celui de la gravitation[2] ». « La nature n’est autre chose qu’une série d’actions libres, produites par un agent très sage et très bon[3]. » Ces actions sont réglées par certaines lois générales, mais ces lois peuvent être suspendues, non par caprice, mais par sagesse encore, et il y a place pour les miracles[4].

III

Dieu est le législateur universel ; et comme sa sagesse, sa bonté, sa liberté fondent l’ordre du monde sensible, elles fondent aussi l’obligation des lois morales. L’éthique de Berkeley est une sorte d’utilitarisme religieux. III On admet généralement qu’il y a certaines règles morales ou lois de nature éternellement et rigoureusement obligatoires ; mais on diffère quant aux moyens de les découvrir, et de les distinguer de ces prescriptions uniquement fondées sur l’humeur et le caprice des hommes. Les uns nous invitent à les chercher dans les idées divines ; les autres soutiennent qu’elles sont naturellement gravées dans nos âmes ; d’autres encore les fondent sur l’autorité des sages et le consentement de tous les peuples. Il en est enfin qui prétendent que pour les connaître il faut les déduire en prenant pour point de départ les données de la raison. C’est cette dernière méthode que Berkeley considère comme la moins sujette aux difficultés ; mais personne ne l’a jusqu’ici complètement appliquée : il se propose de le faire[5].

  1. Voy. le De motu.
  2. Princ. of Human Knowledge, sect. 106.
  3. Discourse on passive obedience, § 14.
  4. Princ. of Human Knowledge, sect. 106.
  5. Passive obedience, § 4. — Fraser, t.  III, p. 110.