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l’âme. Il est à remarquer seulement que l’assimilation est le trait essentiel de l’exercice de cette faculté inférieure, et, dans une certaine mesure, c’est sur ce modèle, en quelque sorte, que s’exerceront toutes les autres activités. De même que la plante, a-t-on dit, s’assimile la matière matériellement, les sens s’assimilent immatériellement la matière, et l’immatériel est assimilé par la pensée d’une manière immatérielle. Au moins est-il vrai que la sensation et la pensée sont, en un sens, des formes de réceptivité qui ne sont pas, à ce point de vue, sans analogie avec la faculté nutritive.

La sensation distingue l’animal. C’est pour Aristote le fait d’être mu ou affecté par un objet extérieur. Elle implique une altération, une modification qualitative. Il se produit un changement dans la nature ou la qualité de l’organe qui perçoit, et qui prend, pour ainsi dire, la qualité de l’objet perçu ; mais sa qualité seulement, comme la cire qui reçoit l’empreinte du sceau sans en prendre le fer ou l’or dont il est fait. Aussi la faculté de percevoir par les sens est-elle définie la faculté de recevoir les objets sensibles sans leurs concomitants matériels. Au premier abord, c’est là une théorie mécanique : les objets extérieurs s’impriment sur l’organisme matériel et donnent ainsi naissance aux diverses perceptions. Mais ce n’est pas, il s’en faut, toute la théorie d’Aristote. Loin d’être purement passive, l’affection, qu’enveloppe toute sensation, est aussi active. Être mû (κινεῖσθαι) et agir (ἐνεργείν) sont synonymes. En même temps qu’il reçoit l’impression, le sens fait comme une impression à son tour, et fournit cette idée de choses sensibles, sans laquelle il n’y aurait pas de perception, à proprement parler. Il est vrai que nous ne trouvons, pas plus ici qu’ailleurs, une délimitation exacte de ce qui appartient aux sens et de ce qui appartient à l’intelligence, et nous ne voyons pas comment s’opère le passage de l’individuel au général, de la sensation à la perception. Mais une analyse pénétrante à laquelle Aristote soumet les termes dont il se sert ici nous fait voir que le mot altération a deux sens : ou bien c’est la destruction d’un état par son contraire, comme lorsque l’ignorant, qui est sans doute, un savant en puissance, devient savant en effet, ou bien le passage de la puissance à l’acte, comme lorsque le savant applique sa science à quelque sujet. En ce dernier sens seulement l’être pensant est altéré, quand il pense, ou le constructeur, quand il construit. De même, outre cette altération de la faculté de percevoir, par laquelle la pure condition d’une faculté devient une faculté prête à agir, comme au moment de la naissance, nous pouvons parler de cette autre altération, bien différente, qui fait passer de la simple puissance à l’acte, cette faculté de percevoir, alors qu’elle est déjà développée.

Il n’y a donc pas, dans la sensation, une réaction seulement du dedans au dehors. Il y a aussi réalisation d’une faculté interne alors que se présente l’objet qui lui est approprié, et cet objet est moins la condition que l’occasion de la sensation. La faculté est en puissance ce que l’objet est en acte. Elle est déjà semblable à cet objet avant l’im-