Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
revue philosophique

pouvoir sont en réalité des équivalents de la paralysie psychique d’un mouvement adapté). Mais il faut remarquer que ces phénomènes d’excitation et de dépression, qui l’on développe expérimentalement chez les hypnotiques, existent à l’état habituel chez les dégénérés dont nous avons signalé l’instabilité ; il faut par conséquent s’attendre à voir se développer chez eux, à propos des mêmes activités ou des mêmes inerties, les mêmes interprétations délirantes. C’est en effet ce que l’observation confirme.

Citons encore une expérience. C… est en somnambulisme ; je détache une de ses boucles d’oreilles que je place dans le tiroir d’une table. Ce tiroir s’ouvre au moyen d’un bouton articulé en fer. J’affirme à C. qu’elle est incapable d’ouvrir le tiroir, parce qu’elle ne peut pas saisir le bouton. Réveillée, elle s’inquiète de son bijou, veut le reprendre, et elle se précipite sur le bouton du tiroir ; mais elle ne fait que le toucher et se recule avec un mouvement d’épouvante. Elle reproduit plusieurs fois sa tentative, elle ne fait que toucher le bouton, qu’elle lâche aussitôt. Je lui demande pourquoi elle ne tire pas le bouton qu’elle vient de toucher ; elle recommence sa tentative : « On dirait un glaçon, je frissonne de tout le corps dès que je le touche. » Elle recommence encore et dit : « Ce n’est pas étonnant, c’est du fer. » Je lui présente un compas d’épaisseur en fer ; elle essaye de le prendre, elle le lâche aussitôt : « Vous voyez, dit-elle, c’est aussi froid que le bouton, je ne puis pas le tenir. »

Dans cette expérience, nous voyons l’interprétation délirante s’accentuer encore avec une tendance à la généralisation. Nous en arrivons à la reproduction expérimentale du délire du toucher qui se rencontre souvent chez les sujets atteints de folie du doute : et les faits de ce genre semblent même indiquer, soit dit en passant, que dans quelques cas au moins le délire du toucher fait partie de l’évolution de la folie du doute et en est la conséquence ; ils viennent donc à l’appui de l’opinion de M. Legrand du Saulle sur ce point.

Représentation mentale de ce qui est capable d’augmenter la puissance au moins momentanément, le désir est le commencement du plaisir quand on se sent en mesure d’en atteindre l’objet ; c’est une peine dans le cas contraire ; et toute peine engendre bientôt la répulsion.

Les désirs s’étendent en raison de la multiplicité et de l’intensité des représentations mentales, et comme les moyens de les satisfaire ne se développent pas parallèlement chez certains individus, il faut bien qu’ils reconnaissent leur impuissance ; et c’est ainsi que Schopenhauer a pu croire qu’on est d’autant plus malheureux qu’on est plus intelligent. Le défaut de parallélisme entre les besoins et les moyens de les satisfaire caractérise précisément la dégénérescence ;