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bougie parce que la bougie brûle, et non parce que le feu brûle. C’est une vague tendance à saisir une analogie entre des cas particuliers, et pas davantage. M. Janet a donc eu tort de voir un passage du particulier au général dans les cas où le passage du particulier au particulier « se trouve vrai », car ce qu’il appelle ici le général n’est que le semblable, « dont il a été fait un plus ou moins grand nombre d’expériences, mais qui ne cesse pas d’être unilatéral ou particulier, en tant qu’élément d’association ou d’inférence, » p. 205. Bain n’a pas moins tort, lorsque, au lieu de s’en tenir à l’association des idées ou des expériences, il donne au raisonnement pour fondement un instinct primitif, qu’il appelle croyance à l’uniformité des lois de la nature.

M. Pérez montre quelles restrictions souffre cette croyance chez les ignorants, et même chez des personnes cultivées qui raisonnent de sciences leur étant étrangères. Sans aucun doute, et ce n’est pas croyance en une loi toute faite qu’il faudrait dire. Il reste seulement cette tendance caractéristique de notre esprit, en dépit de nos jugements d’ignorance, à prendre pour substitut d’un universel, quand le véritable universel nous échappe, un particulier qui y a plus ou moins de titres. Et vraiment la certitude de toute inférence scientifique dépend de la base plus ou moins étendue de nos expériences ; elle dépend de raisonnements supérieurs, dont très peu d’hommes sont capables.

Si maintenant l’inférence à l’universel n’est chez un être rudimentaire et même chez l’homme, comme le veut Spencer, qu’ « un ajustement des rapports internes aux rapports externés », et si une vague tendance à l’universel ne saurait se confondre avec un concept général, la psychologie de l’enfant aura pour lâche de décrire la transformation par laquelle la tendance devient concept, et comment « le processus mécanique » des expériences fournit enfin une base suffisante à l’inférence. Mais il existe un lien de parenté entre ces deux états extrêmes de la série, c’est-à-dire l’ajustement mécanique de l’être rudimentaire et l’ajustement intellectuel, tout logique en apparence, de l’homme arrivé à une pleine culture.

Quant à l’influence de nos sentiments sur nos raisonnements, que M. Pérez ne manque point à relever, elle est bien certaine, et je me permets d’ajouter aux exemples cités par lui un autre exemple, où l’on aura occasion de voir aussi l’établissement fragile de nos inférences.

Un enfant de trois à quatre ans est fortement ému ; une voisine est morte, il n’a pas vu la morte et il n’avait pas pour elle d’affection singulière, mais l’apprêt lugubre des funérailles l’a frappé. Il pleure, réfugié entre les genoux de son grand-père, et finit par lui demander avec angoisse : « Est-ce que je mourrai, moi aussi ? — Toi, jamais ! » répond avec assurance le bon grand-père. Je note, en passant, que cet enfant devenu homme est resté très peureux de la mort et de ce qui la rappelle. Voilà donc mise en défaut la majeure du plus classique des syllogismes ! Sans doute cet enfant sait déjà vaguement que tout le monde meurt ; il l’a entendu dire cent fois ; il a vu périr au moins des bêtes et en a tué