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Il est pourtant un cas où il semble bien que nous prenons véritablement conscience de notre force disponible : c’est quand nous mesurons d’avance l’effort musculaire nécessaire pour obtenir un effet donné. Je puis, à volonté, sauter à la distance d’un pied, de deux pieds, de trois pieds ; quand je lance une pierre contre un but, je lui donne une impulsion plus ou moins forte, selon la distance. Puisque je sais d’avance ce que je vais dépenser d’énergie, n’est-il pas nécessaire d’admettre que j’ai conscience de cette énergie ? — Toute la question est de savoir si vraiment nous mesurons d’avance notre effort. En y regardant de plus près, on reconnaîtra que nous ne commençons à l’évaluer qu’au moment où commence la contraction musculaire ; nous sommes avertis, par des sensations spéciales, de l’intensité de cette contraction, et nous l’arrêtons quand nous jugeons qu’elle a atteint le degré voulu. Nous ne mesurons donc pas d’avance ce que nous allons donner d’effort, nous ne faisons qu’apprécier à chaque instant ce que nous venons d’en donner. Il ne m’est même pas prouvé que nous ayons la sensation d’effort musculaire : ce qu’on appelle ainsi me semble bien plutôt consister dans une sensation de résistance. Quand je bondis, je sens la pression de mes pieds sur le sol ; quand je lance une pierre, je sens la pression de cette pierre sur ma main et c’est par cette pression que je mesure l’énergie de mon mouvement. Il faut encore remarquer que, lorsque nous voulons mesurer avec plus de précision l’énergie d’un mouvement, nous commençons toujours par l’essayer. Avant de sauter, je fléchis une ou deux fois les jarrets ; avant de lancer une pierre, je la soupèse et la balance dans ma main ; par ces mouvements préliminaires, je me rends mieux compte de la vitesse et de l’amplitude qu’il convient de donner au mouvement final. Dans tout cela, je vois des expériences que je fais, des conjectures et des tâtonnements : rien qui ressemble à une conscience directe de ma faculté motrice.

Je pourrais faire des remarques analogues sur toutes nos autres facultés. Si je me sais capable de sentir, de penser, de vouloir, c’est que j’ai déjà eu des sensations, des idées, des volitions, et que je m’attends à en avoir encore. Ce que l’on appelle la conscience d’un pouvoir actuel n’est que le souvenir d’actions antérieures et la représentation d’actions futures, une induction par laquelle je conclus du passé à l’avenir. Je n’insiste pas sur ce sujet, car le problème que nous examinons en ce moment peut se ramener à celui que nous venons d’étudier. Qu’est-ce, en effet, qu’une faculté ? Une activité purement virtuelle, qui ne s’est encore déterminée en aucun acte particulier ; une cause qui n’a pas encore produit son effet. Pour me donner une connaissance immédiate de mes facultés, il fau-