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PHILOSOPHES ESPAGNOLS

OLIVA SABUCO


Le chevalier Azara, ambassadeur d’Espagne à Paris et à Rome sous Charles III, ami des lettres et protecteur des arts, homme d’esprit et de goût, mais un peu dédaigneux de l’érudition, disait, un jour qu’on parlait devant lui du bénédictin Feijóo : « Eh bien, soit, qu’on lui élève une statue, au pied de laquelle on brûlera ses écrits. » Mot spirituel et mordant, qui a fait fortune, si bien que l’Espagne n’a point encore acquitté sa dette envers le savant et judicieux écrivain dont les travaux incessants rappelèrent les Espagnols à la vie intellectuelle, en plein xviiie siècle.

Le dernier roi de la dynastie autrichienne, infirme de corps et d’esprit, représentait au vrai le peuple que gouvernait sa main débile. On le vit bien lorsque la guerre de Succession rompit le cordon sanitaire qui, depuis un siècle et demi, tenait cette nation d’invalides en quarantaine, au nom de l’orthodoxie. Le besoin d’un monarque sauva la monarchie du marasme et de la consomption ; avant d’aplanir les Pyrénées, la France pénétra dans la Péninsule par plusieurs brèches, et, depuis lors, son influence a dominé, moins par la politique, malgré le triomphe des Bourbons sur les Habsbourg, que par les sciences et les lettres. L’Encyclopédie conquit l’Espagne, malgré l’Inquisition, grâce à ce moine qui, du fond de son couvent d’Oviédo, avec une persévérance égalée seulement par sa curiosité avide de tout savoir, ne cessa de répandre durant plus de quarante ans les trésors d’une érudition abondante, variée, un peu hâtive, qu’on admire encore dans ses deux œuvres capitales : le Théâtre critique, et les Lettres érudites, où l’on trouve le tempérament d’un journaliste ardent à propager les lumières, dévoué à la vérité, animé du plus pur patriotisme et servant sa patrie de tout son pouvoir, sans complaisance ni faiblesse. Ce fut à la fois un initiateur et un restaurateur. Non content de faire la classe à ses ignorânts compatriotes, en maître d’école supérieur, il chercha à relever leur courage en exhumant