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PAULHAN.le devoir et la science morale

soit l’objet auquel il s’applique, au point de vue psychologique d’abord, au point de vue moral ensuite, en conservant seulement cette vue générale, assez abstraite pour ne pas dépasser les bornes de notre savoir actuel, que l’objet de la morale et l’idéal du bien sont une systématisation complète ou aussi complète que possible de la vie et de la conduite.

I

Psychologie de l’obligation

Je voudrais étudier comment se forment et en quoi consistent psychologiquement l’idée et le sentiment d’une obligation qui nous incombe d’agir dans tel ou tel sens. Il faut d’abord bien délimiter l’objet de notre recherche : quand on parle de l’obligation, en général on ne parle que de l’obligation qui a un caractère moral, soit aux yeux du sujet, soit aux yeux de l’observateur qui l’étudie, mais cette obligation morale n’est qu’un cas de l’obligation en général, l’idée de la moralité d’un acte que nous nous croyons tenu d’accomplir est une idée qui vient se joindre aux autres phénomènes psychologiques.

Nous aurons donc à étudier l’obligation en général et à voir ensuite quelles circonstances particulières, quels caractères précis peuvent donner naissance à l’obligation morale. De plus, comme ce chapitre ne comprendra que de la psychologie, nous considérerons comme obligation morale toute obligation qui paraît morale à celui qui la ressent, sans nous occuper de savoir si cette opinion n’est pas une erreur.

Si l’on place une grenouille sur la paume de la main, après lui avoir enlevé les hémisphères cérébraux, et si l’on retourne doucement la main, la grenouille peut exécuter des mouvements coordonnés entre eux et avec les impressions venues du dehors, de manière à se retrouver sur le dos de la main, quand la main est complètement retournée. Nous assistons ici à une combinaison remarquable de sensations et de mouvements, à une systématisation de phénomènes par lesquels les centres nerveux de la grenouille maintiennent intact l’accord des phénomènes qui constituent l’animal, accord qui serait en danger si la grenouille tombait. Les actes réflexes composés offrent de nombreux exemples de coordinations analogues, sur lesquels je n’insisterai pas, on peut les trouver dans tous les traités de physiologie, mais je les signale parce qu’ils fournissent à mon avis le type de l’action arrivée à sa perfection imaginable la plus grande, et parce que tous nos sentiments, toutes nos