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PAULHAN.le devoir et la science morale

nomènes psychiques qui s’y rattachent. Ce n’est pas que je méconnaisse l’importance du plaisir, de la douleur, et de la vie sociale dans le genèse du sens moral, mais, à mon avis, tous ces phénomènes ne sont pas essentiels. Ils indiquent comment le sentiment moral s’est développé et non quelle en est la racine dans l’homme même et dans l’animal. Ils nous indiquent plutôt pourquoi les impulsions morales ont pris telle ou telle forme, qu’ils ne nous indiquent pourquoi il y a des impulsions morales et un sentiment d’obligation.

L’obligation d’une manière générale me semble être le résultat de la pression exercée sur l’esprit par une tendance quelconque très forte, alors que cette tendance est momentanément arrêtée dans son évolution par une tendance généralement plus faible qu’elle et qui se manifeste même peut-être plus faiblement à la conscience, mais à laquelle les circonstances permettent momentanément de l’emporter sur la première ou du moins de lui faire équilibre. Des exemples nous permettront à la fois de préciser cette définition abstraite et de la développer.

Toute tendance assez forte qui n’est pas satisfaite, ou qui ne l’est qu’incomplètement, la faim, la soif, le besoin sexuel, le besoin d’exercice physique, la religiosité, le besoin d’exercice intellectuel, toute tendance nous fait sentir une certaine pression qui s’accompagne de phénomènes variés, affectifs et intellectuels ; cette pression est une sorte d’impulsion à l’acte, une impulsion à commettre un acte qui complète le système, dont la tendance arrêtée comprend les premiers éléments : cette pression, commencement de la volition, est très nettement sentie quand elle est forte. Je ne crois pas avoir besoin d’en donner des exemples, le fait de l’impulsion, de la tendance ressentie étant très commun. On a confondu cette impulsion avec les phénomènes affectifs, il faut au contraire l’en distinguer, l’impulsion n’est ni un phénomène affectif, ni un phénomène intellectuel, bien que les uns et les autres puissent l’accompagner, et qu’elle accompagne souvent certains états affectifs comme le désir. À mes yeux, l’impulsion, l’impulsion sentie est un des éléments originaux de la volonté.

Si l’impulsion est très fréquente à l’état normal, elle est peut-être encore plus visible à l’état morbide : grâce au grossissement qui se manifeste souvent dans les phénomènes pathologiques par rapport aux phénomènes de l’état normal : on en trouvera des cas nombreux et intéressants dans tous les recueils des aliénistes, ils abondent dans les ouvrages de Marc, Esquirol, Maudsley, Griesinger[1]. Je n’in-

  1. Voir une exposition du sujet dans Les maladies de la volonté, de M. Ribot, ch.  II.