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serons plus surpris que charmés, alors même que nous eussions été assez disposés à applaudir à un acte semblable commis par une personne dont les sentiments et la manière d’être habituelle auraient été mieux en harmonie avec cette manière de recevoir un affront.

C’est que nous imposons aux autres les actions qui nous semblent en harmonie avec leur nature propre ou avec celles que nous semblent exiger d’eux les circonstances de leur vie. Nous attribuons à un général d’autres devoirs qu’à un orfèvre ; nous leur imposons des pensées et des actes qui forment un système coordonné avec les circonstances dans lesquelles ils sont placés, et, en même temps, nous attendons d’eux ces actes, parce que nous supposons qu’il y a déjà une certaine harmonie entre leurs dispositions, leurs facultés naturelles ou acquises et la position qu’ils occupent en ce monde. En ce cas, les apparences extérieures sont pour nous une marque des tendances internes, et l’on conclut des unes aux autres, bien que souvent l’on soit dupe d’une illusion. D’autres fois, au contraire, c’est sur les actes mêmes de l’individu, sur ce qu’on a pu observer de lui, qu’on se fonde pour attendre de lui des actes d’une certaine nature et pour le déclarer obligé de les accomplir.

Qu’on remarque encore ici le rôle joué par cette systématisation spontanée des phénomènes qui s’impose à l’esprit et dont nous trouvons la trace dans les phénomènes réflexes les plus simples. Si nous sommes conduits à attendre des individus une conduite en harmonie avec ce que nous savons de leur caractère par les actes antérieurs que nous avons pu observer, ou avec les conditions d’existence dans lesquelles ils ont été placés, c’est parce que les idées de ces actes futurs et les idées des actes passés et des tendances auxquelles nous les attribuons se systématisent dans notre esprit et s’imposent.. à nous précisément à cause de cette systématisation.

On voit comment l’attente, l’obligation sentie par le sujet et l’obligation qui nous paraît incomber aux autres êtres se ramènent à ce même fait général que les idées, les sentiments et les tendances s’agglomèrent et se coordonnent en un système. Quant il s’agit d’envisager le rapport de nos propres actes à nos idées et aux caractères fondamentaux de notre personnalité, c’est l’obligation personnelle qui se manifeste ; l’individu se sent obligé (non contraint) à faire telle ou telle chose. Quand il s’agit du rapport des sentiments des autres et des caractères de leur personnalité ou de leurs conditions d’existence avec leurs actes, c’est une obligation imposée qui se manifeste, et l’obligation que nous imposons mentalement aux autres d’agir de telle ou telle manière est la mesure de l’obligation que nous avons nous-mêmes de les concevoir comme agissant de cette ma-