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DUNAN.le concept de cause

porterait médiocrement contre cette sorte de nihilisme philosophique où se réfugie Hume et dont il s’enveloppe. Vous demandez, nous dirait-il, pourquoi les mêmes antécédents sont partout et toujours suivis des mêmes conséquents ; je nie la légitimité de la question. Le pourquoi répond à une nécessité de notre nature : en affirmant qu’il répond également à une nécessité des choses, vous résolvez la question par la question même. La succession régulière des phénomènes est un fait que nous pouvons constater, mais dont il est inutile et vain de demander une explication.

Il est certain que, lorsqu’il prend une position pareille, le scepticisme est bien fort. Comment en effet passer sans pétition de principe du subjectif à l’objectif, et ériger les lois de notre esprit en lois des choses mêmes ? Nous pensons cependant qu’en donnant à la preuve un tour un peu différent on arriverait à la rendre absolument concluante, sinon aux yeux d’un sceptique obstiné qui se cantonnerait résolument dans l’argumentation de Hume sans en vouloir sortir, du moins aux yeux de quiconque envisage les choses de bonne foi, et ne prétend pas demander à la dialectique au delà de ce qu’elle peut donner. Si un antécédent A, dirons-nous, ne déterminait en aucune façon son conséquent B, il n’existerait aucune raison pour que B succédât à A plutôt que C ou D, ou tout autre phénomène. L’univers dans ce cas serait inintelligible, non pas seulement par rapport à nous, mais radicalement et en soi, c’est-à-dire pour toute pensée quelle qu’elle pût être. Ce ne seraient pas seulement les lois de notre esprit qui seraient inapplicables à l’ordre phénoménal, ce seraient encore les lois de tout esprit, puisque évidemment c’est le caractère essentiel de tout esprit d’établir entre les choses des rapports, quoique peut-être d’après de tout autres principes que ceux qui président aux démarches de notre pensée à nous. Donc, en niant toute espèce de rapports entre les phénomènes, on proclame l’inintelligibilité absolue de l’univers à l’égard de tout entendement quel qu’il soit. De bonne foi, cela est-il acceptable, et ce scepti-

    saire entre l’idée de l’antécédent et celle du conséquent, connexion due à l’habitude et résultant de la loi d’association, mais qui niait énergiquement que nous soyons en droit d’affirmer une telle connexion entre les phénomènes eux-mêmes. Aussi ce que l’on peut reprocher légitimement à Hume, à notre avis, c’est, comme nous le disons plus haut, d’avoir laissé sans explication le fait de la succession régulière des mêmes antécédents et des mêmes conséquents, mais non pas d’avoir affirmé entre les premiers et les seconds une connexion nécessaire qui serait en même temps une indépendance absolue.

    Du reste il convient de faire remarquer que ce n’est pas Hume que M. Rabier prétend réfuter dans le passage que nous venons de citer, mais bien les philosophes, s’il y en a, qui croient à une connexion nécessaire des phénomènes eux-mêmes sans croire à leur dépendance les uns à l’égard des autres, et il faut avouer que, contre ceux-là, son argumentation est décisive.