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nous voulons pouvoir comprendre la détermination des phénomènes les uns par les autres, il est indispensable que nous concevions le temps et l’espace comme des principes d’unité en même temps que de multiplicité, c’est-à-dire que nous nous les représentions comme absolument divers et partout hétérogènes, mais non plus comme homogènes, puisque l’homogénéité absolue c’est évidemment la multiplicité absolue excluant radicalement l’unité.

La même chose peut se prouver d’une autre manière encore. Supposons deux phénomènes dont l’un soit la condition nécessaire et suffisante de l’autre. Ces deux phénomènes occupent naturellement des positions contiguës mais différentes dans le temps et dans l’espace. Considérons une portion du premier, c’est-à-dire de l’antécédent, qui soit distante du conséquent et quant au temps et quant à l’espace. Comment veut-on que cette portion de l’antécédent concoure pour sa part à la production du conséquent, à moins que son action ne se transmette tout à la fois à travers le temps, puisqu’elle-même meurt avant que le conséquent naisse, et aussi à travers l’espace, puisque entre elle et le conséquent un certain espace s’étend ? Il est donc bien certain que le temps et l’espace sont des véhicules de l’action causale. Mais, s’il en est ainsi, nous n’avons plus le droit de les considérer comme indéterminés et homogènes ; ils sont, au contraire, absolument hétérogènes, et ce qui constitue le quid proprium de chacune de leurs parties, c’est la somme des actions causales qu’elle sert à transmettre.

Il paraît donc certain que cette conception d’après laquelle le temps et l’espace seraient absolument homogènes et indéterminés rend inexplicable toute espèce de rapport de causalité, puisqu’elle exclut radicalement toute action des phénomènes les uns sur les autres : cette action nécessaire à admettre, ainsi que nous l’avons fait voir, ne peut se comprendre que si l’on considère au contraire le temps et l’espace comme déterminés dans toutes leurs parties, et par conséquent comme hétérogènes et concrets.

Mais, si cette dernière conception du temps et de l’espace est adoptée, il est évident qu’il faut renoncer à la théorie de l’antécédent inconditionnel, puisque, comme nous l’avons dit plus haut, cette théorie est liée indissolublement à la conception opposée. Nous pouvons même aller plus loin, et conclure dès maintenant que chaque phénomène dépend en réalité de la totalité de ses antécédents dans temps et de ses coexistants dans l’espace, puisque, d’une part, cette seconde thèse s’impose évidemment dès que la première est écartée ; et que, d’autre part, le temps et l’espace une fois reconnus comme étant les véhicules de l’action causale, il n’y a plus aucune raison de