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tituent le temps ; envisagés sous l’autre aspect ils constituent l’espace. Il est donc juste de dire tout à la fois que le temps et l’espace sont concrets, puisqu’ils sont les phénomènes eux-mêmes, et qu’ils ne sont rien comme nature et comme essence propre, puisque toute leur réalité est dans les phénomènes qui les constituent. Que si, au contraire, on veut leur conserver une nature et une essence propres, il est évident qu’on est obligé de les réduire, l’un à la pure et simple extension sous forme trilinéaire, l’autre à une extension de forme différente et unilinéaire : mais nous disons qu’alors on confond le concret avec l’abstrait, l’être avec ses propriétés et ses déterminations ; l’espacé réel dont nous sommes une partie, et dans lequel nous occupons une place, avec l’espace vide et mort des géomètres qui n’existe et ne peut exister que pour nos imaginations ; et enfin le temps véritable, ce temps qui nous emporte, comme dit le sens commun populaire, ce Saturne qui dévore ses enfants, comme disaient ingénieusement et poétiquement les Grecs, avec la durée abstraite qui s’exprime en heures, en jours et en années, et qui n’est qu’une conception de nos esprits, utile seulement pour la mesure du temps réel. Ainsi nous ne pouvons admettre qu’un temps et un espace concrets, très différents par conséquent de la pure et simple extension trilinéaire ou unilinéaire, et par là nous revenons tout à fait, il faut bien en convenir, à la vieille conception d’Aristote et des scolastiques, aux yeux de qui l’étendue d’un corps n’était que l’un e de ses propriétés, propriété tout abstraite d’ailleurs, et logiquement postérieure au corps lui-même. Du reste il convient d’ajouter qu’entre l’opinion des scolastiques et la nôtre, demeure toujours cette différence importante, qu’aux yeux des scolastiques les corps avec leur étendue, ou pour mieux dire leur extension, avaient une existence absolue indépendamment de tout sujet pensant, tandis que nous sommes persuadé avec Kant que leur existence est tout idéale. Ainsi l’opposition entre la théorie de l’antécédent inconditionnel et celle de la dépendance universelle des phénomènes les uns par rapport aux autres, se ramène analytiquement à l’opposition existant entre deux conceptions de la nature du temps et de l’espace ; l’une qui est celle de Kant, présente le temps et l’espace comme logiquement au moins antérieurs aux phénomènes, et les phénomènes comme donnés dans le temps et dans l’espace : la seconde, au contraire, revendique pour les phénomènes eux-mêmes la priorité logique, et présente le temps et l’espace comme donnés dans les phénomènes. Nous avons essayé de montrer pourquoi la seconde des deux théories de la causalité nous paraît préférable à la première. Il nous resterait, pour être complet, à reprendre la question sous la