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ANALYSES.bernheim. De la suggestion, etc.

personne. — Quand le même auteur prétend que certains sujets se rappellent les faits de leur sommeil en fermant les yeux, on pourrait lui dire encore que c’est de la suggestion, et ainsi de suite. Telles sont les conséquences de la fausse position où l’auteur s’est placé. Au reste, nous aurons prochainement l’occasion de montrer que la suggestion ne saurait englober tout l’hypnotisme, car elle n’est que le renouvellement, sous forme idéale, d’une irritation périphérique antérieure ; l’idée suggérée ne peut être que l’écho d’une sensation plus ancienne, et dès lors la méthode psychique ne peut venir qu’après la méthode physique. Sans aller plus loin, ne sait-on pas qu’un grand nombre de fonctions physiologiques, la secrétion de la sueur, du lait, des larmes, la colique, la diarrhée, etc., peuvent êtres mises en jeu et par des causes physiques et par des causes morales ?

Le chapitre VI mérite de nous arrêter un moment, car il est nouveau. Il est consacré à une « réponse à quelques critiques » et dirigé en grande partie contre M. Charcot, M. Féré et moi. M. Bernheim se propose de montrer pourquoi les résultats qu’il a obtenus diffèrent de ceux de la Salpêtrière. Le pourquoi est très simple, et l’auteur le trouve tout de suite : c’est que M. Charcot et ses élèves se sont trompés. Tout d’abord, M. Bernheim constate qu’il n’a pas pu « par ses observations confirmer l’existence des trois phases de l’hypnotisme, telles que Charcot les a décrites » (p. 93) et qui, comme on le pense bien, ont grand besoin de confirmation. Le lecteur s’imaginera peut-être que cette différence des résultats tient à une différence des lieux. Vaine objection. M. Bernheim a eu l’occasion d’opérer à Paris, et pas plus à Paris qu’à Nancy, il n’a pu réaliser ce qu’il appelle dans un langage concis et énergique les trois phases de la Salpêtrière ». Puisque M. Bernheim n’a pas constaté ces trois phases, donc « les trois phases n’existent pas » (p. 93). Il faut louer l’auteur de s’exprimer avec autant de netteté.

Cependant, on ne peut pas se contenter de dire à une école : vous vous êtes trompée ; il faut encore lui dire comment et pourquoi. M. Bernheim a eu la bonne fortune de tomber sur un de ces casus rariores qui font la lumière. Une fois, il a trouvé « un sujet qui réalisait à la perfection les trois périodes, mais cette personne avait passé trois ans à la Salpêtrière ; elle avait appris par suggestion à imiter les phénomènes qu’elle voyait se produire chez les autres somnambules de la même école ; elle était dressée par imitation ; ce n’était plus une hypnotisée naturelle ; c’était bien une névrose hypnotique suggestive. » À ce moment M. Bernheim découvre la cause de l’erreur dans laquelle M. Charcot est tombé avec toute son école : « Tout s’explique quand on sait que la suggestion est la clef de tous les phénomènes hypnotiques » (p. 96). De tout cela, pas l’ombre d’une preuve. L’auteur ne se donne pas la peine de se demander si l’hyperexcitabilité neuro-musculaire peut être produite par suggestion. Il se contente de ce raisonnement très simple : « Je n’ai pas vu ce fait ; donc il n’existe pas. » Au lieu d’affirmer avec vivacité que l’école de la Salpêtrière a été le jouet de la suggestion, l’auteur aurait mieux fait