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double rapport. D’abord on y voit, comme Wundt l’a fait, un postulat logique, tandis que ces lois ne sont qu’empiriques, et qu’avant de pouvoir entrer dans la science, elles doivent être transformées en lois causales. Ensuite elle donne lieu à un double sens ; par lois phonétiques, en effet, on peut comprendre des lois relatives à la composition des sons, mais aussi, et le plus souvent, des lois relatives au changement des sons. Partant, ils feraient mieux d’adopter la formule que le changement des sons s’effectue d’après des lois qui n’admettent pas d’exceptions.

L’expression « un seul et même dialecte » est susceptible d’un pareil reproche ; on ne sait si l’on doit la prendre a priori ou a posteriori. Ici, M. Delbrück, pour prouver l’unité (Einheitlichkeit) du langage, redescend jusqu’à la langue individuelle ; cette unité lui paraît être une preuve suffisante de la doctrine néogrammairienne. Mais existe-t-elle, cette unité ? Jamais, pour autant que l’observation nous permet de le constater, la prononciation de l’individu n’est exempte de changements. De plus, d’après Müller, le changement des sons est une opération plus ou moins consciente ; or, M. Schuchardt, qui partage cet avis, la déclare incompatible avec la formule de ses adversaires. Le changement des sons chez un individu peut à coup sûr être conscient, et, pour ce motif seul, il est impossible de vouloir la limiter à la langue individuelle.

Jusqu’ici nous avons considéré la langue déterminée ; voyons maintenant si les lois restent constantes dans le cours des temps. Sur ce point nous nous bornons à renvoyer le lecteur aux exemples de l’auteur (p. 21).

Ce n’est donc ni la méthode déductive ni la méthode inductive que les néogrammairiens peuvent invoquer à leur aide. Les partisans de cette doctrine sont forcés d’y adhérer comme à un dogme, et c’est de ce nom que la spécifient Mayer et notamment Bloomfield.

En présence des défauts formels que nous venons d’énumérer, nous ne dirons cependant pas : « Les lois phonétiques comportent des exceptions », mais plutôt : « Il y a des changements sporadiques de sons. »

Par leur doctrine « infaillible », les néogrammairiens ont voulu introduire plus de rigueur dans la science, mais ils sont partis d’un faux point de vue en négligeant la loi de causalité sans laquelle il n’y a pas de science possible. Alors n’est-ce pas une merveilleuse inconséquence de ne pas s’attacher à comprendre les lois phonétiques, mais de prétendre avoir bien compris leurs exceptions, d’avoir cherché celles-ci surtout dans l’influence de l’association des idées et d’avoir négligé d’autres facteurs comme le mélange de dialectes, etc. ?

V. Welter.