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aussi été très bien étudié par un psychologue anglais de mérite, M. Fr. Myers, qui s’est consacré à l’étude difficile de ces phénomènes psychologiques inconnus[1]. Mais ce qui me paraît intéressant dans les cas que j’ai rapportés, c’est que j’ai pu assister au développement de cette écriture automatique et, pour ainsi dire, à sa formation ; c’est aussi que j’ai pu pendant quelque temps en voir les conséquences.

Après avoir fait écrire à L. plusieurs lettres automatiques de ce genre, j’eus l’idée de l’interroger au moment où je lui faisais la suggestion et de lui commander de me répondre par écrit. J’ai commencé par poser la question pendant le sommeil ; puis je réveillais le sujet afin d’être plus certain de l’oubli et de l’inconscience et pour avoir une réponse vraiment automatique. À un signal convenu, L. prenait la plume et écrivait la réponse sans le savoir. Je ne tardai pas à m’apercevoir qu’il n’était pas nécessaire de la rendormir pour chaque question. Il suffisait de lui suggérer une fois pendant le sommeil de répondre par écrit à mes questions, pour que, une fois réveillée, elle le fit toujours et de la même manière automatique. À ce moment L., quoique éveillée, semblait ne plus me voir ni m’entendre consciemment ; elle ne me regardait pas et parlait à tout le monde, mais non à moi ; si je lui adressais une question, elle me répondait par écrit et sans interrompre ce qu’elle disait à d’autres. Il me fallait changer de ton entièrement et même lui prendre la main pour la forcer à m’écouter de nouveau de la façon ordinaire. Alors elle frissonnait légèrement et paraissait un peu surprise de me revoir. « Tiens, j’avais oublié que vous étiez là. » Mais dès que je m’éloignais un peu, elle m’oubliait de nouveau et recommençait à me répondre par écrit.

V

En présence de ces faits nouveaux il n’était plus guère possible de maintenir entièrement nos affirmations précédentes sur l’inconscience des suggestions. Cette expression appliquée aux faits précédents n’a plus guère de sens : Qu’est-ce qu’un jugement inconscient, une multiplication inconsciente ? Si la parole est pour nous le signe de la conscience d’autrui, pourquoi l’écriture n’en serait-elle pas aussi un signe caractéristique ? On ne pouvait plus dire qu’il y eût en L. absence de conscience, mais plutôt deux consciences. Le sujet étant préparé comme il est dit précédemment et répondant par l’écriture automa-

  1. Automatic writing by Frederic W. H. Myers, in Proceedings of the society for psychichal research. Ce travail très ingénieux demanderait une étude sérieuse, si dans cet article je ne voulais uniquement mentionner les faits sans discuter leur interprétation.