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G. LE BON.applications de la psychologie

ce sont, d’une part, un climat généralement très chaud, ne prédisposant pas à de rudes travaux, mais rendant facile la culture du sol à laquelle la plus grande partie de la population est vouée, et, de l’autre, un régime alimentaire à peu près exclusivement végétal. Un Hindou se couvre à peine, fait son repas de quelques végétaux, se désaltère avec de l’eau claire, et vit largement avec quelques sous par jour. La température élevée de son pays réduisant pour lui le vêtement et la nourriture à leur plus simple expression, il n’a pas, pour secouer son indolence naturelle, l’aiguillon de besoins pressants.

Ces influences de milieux physiques semblables et d’occupations identiques ont engendré nécessairement des conditions d’existence semblables. Elles ont été puissamment fortifiées d’ailleurs par des influences d’ordre moral également identiques ; les plus importantes sont le régime des castes, la constitution politique et les croyances religieuses.

Le régime des castes est la pierre angulaire de toutes les institutions sociales de l’Inde depuis plus de 2000 ans ; il a une importance telle que nous avons dû lui consacrer un paragraphe spécial dans notre Histoire des Civilisations de l’Inde. Nous y avons montré quelles sont les origines ethnologiques qui lui donnèrent naissance dans les temps antiques, et les autres causes qui, se substituant graduellement aux premières, ont continué à le maintenir dans toute sa rigueur à travers les âges. Nous y avons fait voir comment il a divisé l’Inde en milliers de petites républiques indifférentes ou hostiles les unes aux autres, et trop profondément séparées par la divergence de leurs sentiments pour avoir jamais eu des intérêts communs ; comment ce n’est pas l’Inde, mais sa caste, qui est la véritable patrie de l’Hindou, et comment elle l’a enfermé dans un réseau de traditions et de coutumes que l’hérédité a rendu trop stable pour qu’il en puisse aisément sortir.

La seconde des influences mentionnées plus haut, la constitution politique, contribue depuis une longue série de siècles à façonner de la même manière le cerveau de l’Hindou. On peut définir simplement le régime politique de l’Inde depuis longtemps en disant qu’elle se compose de petits groupes : les castes, réunies en petites républiques ; les villages, soumis à l’autorité d’un maître unique dont le pouvoir est absolu. Le nom du maître a varié, mais le régime n’a pas changé. Il a trop duré pour ne pas avoir assoupli toutes les résistances, et ne pas avoir accoutumé l’Hindou à l’idée, confirmée d’ailleurs par les croyances religieuses, qu’il doit une obéissance absolue à la loi d’un maître.