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G. LE BON.applications de la psychologie

contre invariablement chez tous les peuples soumis depuis des siècles au joug d’un maître. En règle générale, l’Hindou est faible, timide, rusé, insinuant et dissimulé au plus haut degré. Ses manières sont adulatrices et importunes ; il est entièrement dépourvu de sentiments de patriotisme. Des siècles de tyrannie l’ont habitué à l’idée qu’il doit avoir un maître, et pourvu que ce maître respecte les lois de sa caste et ses croyances religieuses, l’Hindou est résigné d’avance à subir toutes ses volontés, et se trouve heureux si on lui laisse à peu près la poignée de riz dont il a besoin pour vivre.

Les Hindous forment une population douce, patiente, absolument résignée à son sort. Leurs défauts les plus frappants, pour un Européen, sont l’indolence, l’absence de prévoyance et l’absence plus grande encore d’énergie.

L’absence d’énergie est le point capital de leur caractère ; elle seule suffirait à expliquer comment 250 millions d’hommes supportent sans murmurer le joug de 60,000 Européens, c’est-à-dire d’une poignée d’individus qu’ils anéantiraient en un jour aussi facilement qu’une nuée de sauterelles détruit un champ de blé, s’ils avaient jamais l’idée de se soulever en masse ; mais une telle idée, les Hindous ne sauraient l’avoir. Que quelques régiments de cipayes, exaspérés par de mauvais traitements, s’insurgent, comme ils l’ont fait en 1857, ce n’est qu’une simple échauffourée localisée, à laquelle l’immense masse du peuple assiste indifférente.

Nous verrons plus loin qu’en général la moyenne intellectuelle des Hindous n’est en aucune façon inférieure à la moyenne des Européens qui les dominent, mais qu’ils leur sont immensément inférieurs par le caractère. Cette seule raison assurera toujours leur soumission à la domination des Occidentaux. Je dis qu’elle l’assurera toujours, car plus on approfondit l’histoire, plus on étudie les hommes, plus on constate que le caractère ou, — pour parler plus clairement, la persévérance et la volonté — joue dans la vie des individus et des peuples un rôle bien autrement important que celui qu’y exerce l’intelligence. C’est avec le caractère surtout, bien plus qu’avec l’intelligence, qu’on fonde des religions et des empires. Une lutte entre deux peuples, l’un composé d’hommes intelligents et instruits, mais ayant nécessairement la prudence et la réserve que donne l’intelligence, connaissant la vanité de tout idéal, et peu disposés par conquent à de grands sacrifices pour en faire triompher aucun, et un peuple composé d’hommes bornés, mais tenaces, prêts à sacrifier leur vie sans hésiter pour le triomphe d’une croyance, une telle lutte, dis-je, aboutira infailliblement aux succès des derniers. J’ai plusieurs fois insisté sur cette idée dans divers ouvrages, mais je ne