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de la conception ont pu préparer le système à jouir mieux du plaisir de l’embrassement. » Le souvenir de ces opérations prendrait un rôle beaucoup plus important, si on le considérait dans la vie de l’espèce entière. Un évolutionniste s’interdirait-il de porter au bénéfice du sens du toucher le retentissement de la vive jouissance qui y est attachée dans la fonction reproductrice de l’espèce ? N’y aurait-il pas là quelque chose d’analogue au choix spontané de la nourriture par le jeune animal, sans instruction préalable des parents, à l’attrait marqué du carnassier, par exemple, pour les proies préférées de son espèce ?

Il est curieux, en tout cas, d’observer à quel point le cachet de la sexualité se reconnaît en des amitiés où l’appétit spécial n’a rien à faire et transforme en affections chaudes et entières les relations de simple convenance ou d’intérêt peu profond. J’ai entendu une femme d’âge, très distinguée et parfaitement saine, dire quelquefois : « J’estime bien M. X. ou M. Y., mais je ne voudrais pas le recevoir familièrement, son corps me déplaît. » Ces mots n’avaient rien de malséant en sa bouche, mais ils marquaient bien la frontière qui borne pour elle le pays de la complète amitié. On trouverait à citer nombre d’exemples de cette sorte. Ils témoigneraient au moins en faveur de la doctrine de Bain ; et tout en s’arrêtant, avec lui, au plaisir indéfini du toucher, en notant le signe sans chercher la chose signifiée, on pourrait ajouter peut-être que le plus simple contact agréable est susceptible d’intéresser de proche en proche tout notre système, où les parties les plus sensibles à l’ébranlement vibreront alors, et si obscurément qu’on le veuille, avec une énergie appréciable.

Bref, cette discussion préliminaire établirait la prédominance, dans les émotions tendres, du désir de l’embrassement, de l’étreinte sympathique, et elle conduirait encore à rechercher dans l’instinct sexuel le germe de cette tendresse par où le toucher prend une valeur altruiste qu’il n’enfermait pas en soi.

La qualité de la dépense attachée à l’instinct n’y apparaît, écrivais-je plus haut, qu’un pur symbole, et l’on ne peut guère assimiler la dépense exigée pour la reproduction de l’espèce à celle que s’impose l’homme pitoyable en faveur d’un malheureux. Spencer constate, il est vrai (les Bases de la morale), que « l’altruisme, à la fin comme an commencement, implique une perte de substance corporelle. » Mais je ne veux pas tirer d’abord trop d’avantage de cette citation. Il suffit à mon dessein de faire remarquer que la dépense considérée ici possède du moins la qualité éminente, entre toutes les dépenses