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ARRÉAT.sexualité et altruisme

L’amour platonique, disons-le en passant, est profondément distinct de cet état pathologique. Les phénomènes intellectuels n’y sont pas assez puissants pour décider les autres sentiments à se produire ; ils le feraient, s’ils acquéraient un peu plus de force. Quels mensonges délicats retiennent souvent une pure amitié d’aller se fondre dans le courant plus large de l’amour ! Quant au don-juanisme, l’appétition idéale de ses héros porte sur trop d’objets pour trouver toujours à se satisfaire. La passion de don Juan n’est jamais affranchie du désir de la chair ; le malheur pour lui est que la chair ne s’offre pas en toute rencontre à son désir.

Ces deux états sont intéressants. Ils peuvent aider à comprendre la situation de cet altruisme sexuel sans l’appétit, en faveur duquel nous demandons des arguments à la pathologie. Elle les fournirait en effet, puisque les phénomènes intellectuels présentés par l’érotomane avec un grossissement demeurent conditionnés, après tout, par la sexualité. Il importe peu que les mécanismes inférieurs entrent en jeu, dès que le moment isolé par la maladie repose sur l’existence de la fonction générale, sur la possibilité de l’acte fonctionnel. Et l’on supprimerait l’état morbide, s’il était possible de supprimer le sexe du malade.

Mais ne supprimerait-on pas aussi, avec le sexe, les qualités altruistes que la doctrine ici débattue en fait dépendre ? Ne serait-il pas possible de concevoir que ces qualités reposent sur le fond de la sexualité, à la manière des phénomènes intellectuels de l’amour que présentent les érotomanes ? Les cas pathologiques n’autoriseraient-ils pas enfin à ordonner sous le titre de l’altruisme sentimental les diverses situations exposées plus haut, et à s’élever par degrés des émotions dont le caractère est franchement sexuel jusqu’à celles où l’appétit spécial a cessé de retentir, ou plutôt d’être aperçu ?

Telles sont les questions que ce court article avait pour objet de préciser. Elles enferment déjà, on a pu le remarquer, la théorie proposée en des bornes plus étroites. Je viens de faire une réserve touchant les formes supérieures de l’altruisme, et j’ai laissé aux « idées » le rôle considérable qui leur appartient dans le développement de l’instinct social. J’en avais fait une autre, au début, touchant les formes inférieures de cet instinct, formes où l’on reconnaît l’altruisme, si l’on veut, mais non pas encore la sympathie, la tendresse.

Les carnassiers nous offrent la dualité sexuelle avec les affections qui s’y rapportent directement. Cependant ils vivent isolés, ne vont pas en troupes. La sexualité ne suffit donc pas seule à créer la socia-