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débile, c’est la conscience et la faculté d’abstraction. Entre le débile et le dégénéré supérieur, c’est le degré de l’intelligence.

Quant à la différenciation à établir entre, d’une part, les débiles et les dégénérés supérieurs et, d’autre part, les intelligences régulières, on la trouve, du côté des dégénérés, dans la spécialité des aptitudes, dans l’existence de lacunes ou de trous, soit dans les facultés soit dans les sentiments, enfin d’une manière générale dans la faiblesse du raisonnement malgré quelquefois de très hautes facultés de perception et d’imagination.

Ces deux séries de réguliers ou d’irréguliers, qui ont ainsi des caractères distincts même dans la période du fonctionnement tranquille, se comportent aussi très différemment dès qu’ils entrent sur le terrain de la pathologie mentale.

Les réguliers ne délirent que sous l’influence de causes toxiques ou occasionnelles puissantes. Ils ne sont généralement passibles que de la folie simple : manie (excitation) ou mélancolie (dépression). Quand ils ont quelque cause prédisposante d’une nature particulière, ils vont jusqu’au délire chronique, qui se développe alors lentement, suivant son évolution régulière en quatre périodes, telles que les a remarquablement décrites M. Magnan : 1o période d’inquiétude ; 2o délire de persécution ; 3o délire ambitieux ; 4o démence et dissolution du délire.

Les dégénérés, au contraire, ont des allures tout opposées. Ils n’ont besoin que de causes occasionnelles assez faibles pour avoir brusquement, sans préparation, des accès de manie ou de mélancolie, dont les débuts rappellent parfois les délires épileptiques et hystériques, et dont la terminaison est souvent aussi brusque que le début. Quand le délire est systématisé, la systématisation, au lieu d’être le résultat d’une longue évolution comme dans le délire chronique des réguliers, se produit d’emblée, mais elle n’a pas non plus la ténacité ni la cohésion rigoureuse des délires chroniques ordinaires. Sans doute, ce délire systématisé des dégénérés pourra devenir chronique en ce sens qu’il se prolongera longtemps, mais, et c’est là un point important où M. Legrain ne paraît pas avoir suivi exactement l’expérience de M. Magnan, il n’évoluera pas suivant la progression régulière, invincible, des délirants chroniques ordinaires : il restera stationnaire ou bien il aura des variations, des rétrogradations, des rémittences momentanées, on pourrait dire des distractions, des défaillances. Un hypochondriaque, par exemple, aura subitement une bouffée ambitieuse de quelques jours, de quelques heures ; un ambitieux oubliera un instant son rôle d’empereur ou de président de la république pour obtenir une satisfaction incidente, etc.

Le polymorphisme du délire, et c’est un point que M. Legrain a parfaitement mis en lumière, est la règle des dégénérés, soit qu’il se manifeste simultanément dans le même accès, soit qu’il se déroule dans des accès successifs, séparés ou non, par des intermittences. Dans