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REVUE GÉNÉRALE.durkheim. Les études de science sociale

Tel est ce qu’on pourrait appeler la physiologie de la religion ; en voici maintenant la morphologie. De la fonction nous passons à la structure, de l’idée religieuse aux institutions ecclésiastiques. Tandis que le médecin, l’exorciste est uniquement chargé de combattre les mauvais esprits, le rôle du prêtre est avant tout de se rendre propices les esprits bienfaisants. Or ceux-ci sont pour chaque famille ceux des ancêtres. C’est pourquoi les fonctions sacerdotales sont tout d’abord privées et domestiques, et tous les membres de la famille les exercent indistinctement. Mais, comme toute masse homogène est instable, elles ne restent pas longtemps dans cet état de diffusion. À mesure que la famille se constitue, elles se concentrent entre les mains du père ou du fils aîné. En même temps elles changent de nature ; de purement domestiques qu’elles étaient, elles deviennent à la fois politiques et vraiment religieuses. Ce n’est plus seulement par affection qu’on pleure le mort ; c’est par devoir. Comme on ne voit dans l’héritier qu’un administrateur provisoire des biens qui lui sont laissés et dont il devra rendre compte à leur légitime propriétaire, quand l’esprit errant viendra de nouveau animer le corps qu’il a momentanément délaissé, les offrandes funéraires constituent une sorte de tribut ou de servitude légale que supporte l’héritage. D’autre part, comme elles sont destinées non plus à exprimer les sentiments personnels du survivant, mais à assurer à toute la famille la protection d’un être surnaturel, celui qui est chargé de les faire prend un caractère proprement ecclésiastique.

Le patriarche est donc investi d’un triple pouvoir : il préside à la fois à la vie domestique, politique et religieuse. Successivement, ces trois fonctions vont se dissocier, et la fonction religieuse se séparer des deux autres pour se constituer à part. Quand la famille se fut développée au point de devenir une communauté de village (village-community), des étrangers finirent par s’y glisser et s’y établir. Dans ces conditions le patriarche qui administrait le groupe composé, devait naturellement perdre son caractère domestique. Mais il resta le chef politique et religieux, car il servait d’intermédiaire entre les autres familles et ses ancêtres personnels que toute sa tribu adorait avec lui. À partir de ce moment il n’y a plus qu’un pas à faire pour que les fontions ecclésiastiques deviennent tout à fait indépendantes. Que la société s’accroisse, et les soins politiques suffiront à occuper toute l’attention du chef ; il déléguera ses pouvois religieux à un de ses proches et le sacerdoce (priesthood) sera définitivement constitué. Une fois qu’il s’est formé, cet organe spécial continue à évoluer comme la fonction, s’intégrant et se différenciant comme elle. En d’autres termes, il se développe en un système hiérarchique de plus en plus complexe et de plus en plus centralisé.

Toutefois, comme pendant des siècles le pouvoir religieux et le pouvoir politique ont été confondus, la séparation en est très lente et n’est jamais bien complète. Les fonctions religieuses restent longtemps mêlées à beaucoup d’autres dont elles ne se dégagent que malaisément. C’est