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suggestion verbale s’efface, la première se confond avec la seconde. Eh bien ! je le demande, ne pouvait-on pas prévoir ce résultat en se rappelant ce qui s’est passé depuis qu’on a commencé l’étude scientifique de l’hypnotisme ? Les partisans de la suggestion purement mentale ont déjà vu son domaine décroître à mesure que les observations étaient mieux faites ; ils ont déjà rayé du cadre de la suggestion mentale tous les cas où l’hypnotiseur est en contact, si peu que ce soit, avec l’hypnotisé, au moment de la suggestion[1]. Ils ne citent même plus aujourd’hui comme tout à fait probants les cas où l’hypnotiseur est en présence du sujet ; leur suprême argument, ce sont les suggestions mentales à grande distance. Or, si je suppose que les faits de ce genre sont à l’abri de toute critique, ce qui d’ailleurs n’est nullement démontré, je ne les trouve pas cependant en contradiction absolue avec l’interprétation de la suggestion mentale que je propose. Du reste, tant que les faits de ce genre resteront isolés, exceptionnels, et plus ou moins douteux, on devra se borner à les enregistrer avec le plus de détails possible, en attendant que l’état de la science permette d’en trouver l’explication. C’est par l’étude patiente des faits les plus simples qu’on s’élèvera peu à peu à celle des phénomènes plus complexes dont l’interprétation nous échappe encore. Or, les hypothèses que je viens d’exposer s’appliquent sans difficulté à l’immense majorité des faits connus, ceux où la suggestion mentale a eu lieu à petite distance. Rien n’empêche dès lors d’admettre qu’exceptionnellement la perception inconsciente du sujet puisse se faire à des distances sensiblement plus grandes. Supposer que le somnambule lit la parole intérieure sur le visage, ou qu’il l’entend, même d’assez loin, me semble assez naturel, Est-il naturel, au contraire, de penser que ses cellules cérébrales reçoivent, par un mécanisme inimaginable, une sorte de reflet des images emmagasinées dans les cellules du cerveau de l’hypnotiseur, en même temps que l’excitation nécessaire pour produire l’association de ces images de telle façon que l’idée du second se reproduise identiquement chez le premier ?

III

La suggestion mentale est aujourd’hui notée comme un phénomène exceptionnel, et l’on admet qu’elle ne peut être observée que chez quelques rares sujets, doués d’une sensibilité extrême aux manœuvres hypnotiques. Bon nombre de savants qui se sont beaucoup occupés d’hypnotisme n’en ont jamais constaté un seul exemple. J’ai tout lieu de croire cependant que bien des sujets susceptibles d’être mis en état de somnambulisme profond et d’obéir à la suggestion verbale hypnotique et post-hypnotique, peuvent également apprendre à obéir à la suggestion mentale. Si l’on se donnait la peine de renouveler les essais avec plus de persévérance, au lieu de passer outre après quel-

  1. Ch. Richet. Société de Biologie ; avril 1884.