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par la seule personne dont ils disent ressentir l’influence. Il en était ainsi dans le cas de M. J. Héricourt, et dans les deux miens. Il me semble donc fort légitime de les attribuer à l’influence de cette suggestion primitive, dominant toutes les autres, que j’ai appelée suggestion fondamentale. Le sujet y obéit à l’état de veille, à l’aide et par l’intermédiaire de l’inconscient, de cette personnalité psychique distincte du moi, qui est toujours en éveil chez lui, dès qu’elle a été étendue, perfectionnée, éduquée par les hypnotisations antérieures. C’est là une de ces suggestions faites pendant le sommeil hypnotique et auxquelles le sujet obéit plus tard, étant éveillé, sans s’en douter, phénomènes bien connus aujourd’hui et dont la possibilité ne fait plus de doute pour personne. Des observateurs dont le témoignage est indiscutable ont d’ailleurs pu la réaliser plusieurs fois[1]. Dans ce cas particulier, le sujet obéit à une suggestion qu’on pourrait formuler ainsi : « Toutes les fois où je voudrai que vous me sentiez, que vous ressentiez mon influence hypnotique, vous la ressentirez. » Comme toutes les suggestions possibles, celle-ci peut venir de l’hypnotiseur, ou bien encore, et c’est le cas de beaucoup le plus fréquent, s’établir directement chez le sujet même, par auto-suggestion. On va m’objecter que rien ne m’autorise à affirmer la possibilité de la réalisation d’une suggestion pareille. Je répondrai que l’on connaît des faits de suggestion semblant au contraire beaucoup plus difficiles que celle-ci à réaliser, et que l’on ne peut cependant révoquer en doute. Il s’agit de ces faits si remarquables de suggestions à longue échéance, ou plutôt à échéances échelonnées. J’en emprunte une à M. Beaunis. Cet auteur fait à un de ses sujets la suggestion suivante : « Cet après-midi vous dormirez cinq minutes toutes les heures. — La suggestion se réalise, et le lendemain la malade se rappelle très bien qu’elle a été surprise toutes les heures par le sommeil et que chaque fois elle a dormi cinq minutes, comme l’a constaté du reste son amie, qui travaillait dans la même pièce qu’elle[2]. » Ces. faits, qui semblent impliquer une sorte de faculté inconsciente de mesurer le temps, sont évidemment très curieux. À propos d’une suggestion à longue échéance, se réalisant treize jours après avoir été faite, M. Paul Janet, effrayé de cette faculté inconnue de mesure du temps, qui lui semblait nécessaire pour l’explication du fait, voyait avec étonnement et chagrin les physiologistes rouler « sur la pente des facultés mystérieuses du magnétisme animal » [3]. M. Beaunis est arrivé cependant à une interprétation satisfaisante de ces faits. Il a fort à propos fait observer qu’un intervalle de temps déterminé, un jour par exemple, correspondait à une série d’impressions et de sensations successives en permettant jusqu’à un certain point la mesure inconsciente : le réveil volontaire, à heure fixe, fait absolument bien constaté, en est

  1. Beaunis. Le somnambulisme provoqué. Paris, 1886, p. 36.
  2. Beaunis. Loc. cit. p. 128 et 129.
  3. P. Janet. Revue politique et littéraire, 16 août 1884.