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STRICKER.de la parole et des sons intérieurs

de l’observation des cas pathologiques ne prêtent, comme je l’ai dit, guère à la discussion. En outre, j’ai entouré toute ma théorie d’un rempart de preuves qui, jusqu’aujourd’hui, n’a aucunement souffert, malgré les attaques auxquelles elle a été en but. Si, néanmoins, j’entreprends d’y répondre, c’est surtout parce que, à cet égard, moi et ma théorie nous nous trouvons seuls et tout à fait isolés. Combien il y en a parmi mes lecteurs qui, à part eux, l’admettent, c’est ce que je ne puis savoir ; mais, à conclure par les travaux qui se publient, elle ne peut être considérée comme reconnue. À cet égard, je crois pouvoir regarder M. Paulhan, contre les objections duquel j’aurai ici même à la défendre, comme mon plus fidèle allié ; car, bien qu’il la combatte encore dans les points principaux, il ne laisse pas d’en reconnaître la vérité à certains égards.

Les difficultés augmentent plus encore quand on aborde l’étude des images musicales. Il est à la vérité hors de doute que l’ouïe seule ne suffit également pas à la compréhension de la musique, car il est des cas pathologiques où, bien que l’ouïe soit restée intacte, le malade a perdu la faculté de comprendre quelque mélodie que ce soit. La difficulté de reconnaître par l’observation personnelle la coopération des deux facteurs agissant — l’ouïe et le chant intérieur — est entravée par diverses circonstances. Elle est due à deux causes essentielles. D’abord c’est l’influence des images auditives qui dominent par leur puissance, à ce que m’ont appris de minutieuses recherches, d’autant plus que grandit le talent musical, et cela à tel point qu’il y a des musiciens qui ne peuvent parvenir, lorsqu’ils les reproduisent tout bas pour eux-mêmes, que très difficilement à s’en affranchir. Ensuite, le noyau intérieur qui s’adapte aux images auditives est variable. Chez les uns, c’est un chant intérieur, semblable à la parole intérieure, qui se fait sentir par un sentiment au larynx, comme cette dernière, aux organes articulatoires. Chez d’autres, ce noyau consiste en un faible sifflement intérieur qui se fait sentir par un sentiment aux lèvres. Enfin, il y a une catégorie d’individus dont font surtout partie les pianistes qui sont incapables d’observer ce sentiment musculaire, et comme il semble naturel qu’à l’égard des images musicales on doive surtout s’en tenir au témoignage des musiciens, on concevra que la théorie dont je prends la défense se heurte à une forte opposition. À cela se joint encore que les musiciens qui exercent leur art sont d’ordinaire tout à fait étrangers aux questions de psychologie. Mais M. le professeur Stumpf, qui, en même temps que professeur de philosophie, est encore musicien de talent, fait exception à la règle, et c’est surtout contre ses attaques que j’ai à défendre ma théorie.