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ESPINAS.l’évolution mentale chez les animaux

ment du regard ni tous les contours des lettres, ni toutes les lettres des mots ; en ce sens, l’induction est une partie inséparable de la perception, mais s’il est difficile de saisir dans l’esprit de l’homme une perception pure, comme il l’est de saisir une sensation nue, il n’en est pas moins vrai que chez les animaux comme chez les enfants la perception simple où l’inférence et l’analogie ont une part négligeable constitue une étape distincte du progrès intellectuel et, par suite, il y a un intérêt à conserver ce mot avec son acception limitée à la représentation d’une chose déterminée, objet (dans l’espace) ou événement (dans le temps).

Nous ne nous arrêterons pas sur la question sommairement agitée ici (p. 123) de savoir si, comme des sensations laissent un souvenir d’une génération à l’autre, l’hérédité peut transmettre des perceptions. La question relève de la théorie intellectuelle de l’instinct. Signalons plutôt un intéressant résumé des recherches déjà nombreuses faites sur le temps nécessaire aux différentes perceptions. L’auteur s’est étendu sur ce sujet, si intéressant d’ailleurs en ce que par là la mesure s’est pour la première fois appliquée aux phénomènes psychiques, parce que, dit-il, ces faits « montrent par des mesures positives que les actes psychiques les plus simples sont lents comparés aux actes réflexes, que l’exercice peut bien les rendre plus rapides, mais jamais au point où le sont les actes réflexes ». Cette loi générale est vraie, quand on envisage les divers actes psychiques d’un même sujet pensant, mais il ne nous semble pas qu’elle offre un critère suffisant du degré de perfection relative de deux actes pris dans deux sujets différents, surtout s’ils appartiennent à des points éloignés de l’échelle zoologique. Ainsi la perception d’une rangée de cinq ou six lettres requiert, d’après Baxt, une exposition de seulement un vingtième de seconde (p. 126), tandis que chez une méduse, le Tiaropsis polydiademata, la réponse spasmodique à une excitation lumineuse requiert une exposition à la lumière d’une seconde tout entière. Dira-t-on que l’opération accomplie pour la méduse est supérieure dans l’échelle des actes psychiques à l’opération accomplie par l’homme ? Il en serait de même de la réponse motrice par laquelle la grenouille décapitée cherche à écarter la goutte d’acide qui la blesse. L’acte est long relativement, quoique simple. On ne gagne donc rien à substituer comme critère de la dignité d’un acte psychique le temps à la complexité présumée, dont on peut se faire une idée par l’analyse psychologique. D’ailleurs la dignité, la valeur, le degré de perfection d’un acte psychique ne peuvent être appréciés et n’ont de sens qu’en fonction de sa complexité et de son intégration. Il faut toujours revenir à ces caractères accessibles à l’observation guidée par l’ana-