Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/642

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
632
revue philosophique

IV

Tout en déclarant la métagéométrie étrangère à la théorie de la connaissance, nous ferons une légère restriction. Peut-être une des raisons qui ont poussé les métagéomètres dans la voie qu’ils ont suivie a-t-elle été leur conviction réaliste ; car si leurs travaux ne peuvent confirmer la thèse réaliste, il est naturel au contraire que celle-ci en ait été l’inspiratrice. Lobatschewsky croit certainement d’avance à l’origine expérimentale des axiomes. Riemann proteste trop énergiquement contre le caractère idéaliste des axiomes pour ne pas avoir eu une conviction indépendante de toute espèce d’études mathématiques. Helmholtz est avant tout un grand philosophe. Leurs travaux s’accordent admirablement avec leurs opinions en ce sens que la théorie réaliste posée en principe les rendrait tout naturels et, par une illusion qui renverse l’ordre des choses, ils voient dans leurs conclusions une démonstration de la thèse.

Aussi bien cette idée, que les mathématiques puisent tous leurs éléments dans l’expérience, semble avoir fait du chemin ; elle est plus ou moins dans l’air, et il peut être difficile à maint lecteur de Lobatschewsky ou de Riemann de distinguer la véritable cause de sa croyance à leurs affirmations réalistes. De leur côté les disciples plus ou moins directs de Kant, heurtés dans leur conviction par ces affirmations qu’ils peuvent supposer logiquement déduites des travaux eux-mêmes, sont disposés à reléguer la métagéométrie parmi les rêveries mystiques de quelques cerveaux malades. C’est ainsi que, étrangère par sa nature même à tout problème de métaphysique, elle doit peut-être cependant à des convictions faites à priori sur l’origine des axiomes, son existence d’une part, et d’autre part l’accueil enthousiaste des uns ou la réprobation des autres.

G. Milhaud.