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c’est-à-dire de l’établissement d’un lien entre les divers termes d’une série de phénomènes psychiques. Les phénomènes passés ne peuvent être rappelés à l’esprit que si on les retrouve en cherchant l’explication des phénomènes actuels, c’est-à-dire qu’il faut qu’une systématisation s’établisse entre les divers phénomènes pour que l’un de ces phénomènes rappelle les autres ; on voit clairement que la contiguïté n’y suffit pas, et que l’association par contiguïté comme l’association par ressemblance est en réalité une association par système.

Mais une explication du même genre peut-elle s’appliquer au tour de force qui consiste par exemple à apprendre par cœur une série de mots sans rapports entre eux ? Je crois que si l’explication qui s’applique aux derniers faits dont j’ai parlé n’est plus de mise ici, on peut en trouver une autre qui se ramène aux mêmes principes généraux, et qui n’est autre que celle qui nous a déjà servi à réduire l’association par ressemblance.

S’il est un fait hors de conteste, c’est que toute perception est due à une synthèse d’éléments psychiques. L’esprit ne reçoit que ce qui peut d’une manière générale s’adapter à lui, rien n’entre dans l’esprit que sous la forme d’un système, que nous nous en rendions compte ou non. Or les éléments de ces systèmes sont évidemment les tendances qui dominent en nous au moment de la perception. L’ensemble forme ce que l’on a appelé la cénesthésie. Nous avons vu que lorsque l’orientation de l’esprit change, l’association par contiguïté ne se produit plus à cause de la modification des associations dynamiques dominantes. Mais quand ces associations se maintiennent un certain temps, toutes les perceptions reçues pendant ce temps-là s’associent systématiquement avec elles, et alors même que les perceptions n’ont pas d’autre lien entre elles que celui qui leur vient de ces systématisations communes, cela suffit pour que l’un des deux puisse en certains cas rappeler les autres. Nous retombons ici dans un cas déjà vu, celui où des systèmes qui ont une partie semblable se succèdent dans l’esprit pour ainsi dire autour de cette partie. Ici, la partie semblable, la cénesthésie, au sens le plus large, est la plus fixe et le plus importante.

Si cette interprétation parait à première vue trop hypothétique et trop fondée sur des considérations générales, je ferai remarquer qu’elle semble fortement appuyée par le fait constaté précédemment, qu’un changement dans la cénesthésie entraîne une rupture des associations des impressions centripètes. Tout le monde peut remarquer qu’il est difficile et même impossible d’apprendre quelque chose « par cœur » quand on est interrompu ou quand on