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tisation est plus forte, et quand la systématisation n’existe pas, le souvenir ne se produit pas non plus. Si l’on est absorbé par un travail ou une lecture, on oublie très facilement les petites distractions qu’on peut avoir sous l’influence de causes extérieures, si ces distractions n’ont pas de rapport avec l’occupation principale, et si elles ne sont pas assez fortes pour s’attacher fortement au système psycho-physiologique en activité. Qu’une mouche se pose sur notre visage pendant que nous écrivons, nous la chasserons instinctivement, mais le souvenir ne se fixe pas, et la contiguïté entre le fait de sentir et de chasser la mouche, et le fait de lire ou d’écrire une certaine phrase ou une certaine ligne ne paraît nullement suffire pour déterminer une association entre les deux. Si au contraire la préoccupation intercurrente est assez forte pour entrer dans le moi, pour entrer dans le système général, concurremment avec l’action principale, alors il est possible qu’il s’établisse une association durable entre les deux, association qui sera due non à la contiguïté de simultanéité, mais bien à ce que toutes les deux font partie d’un même système général et peuvent être par conséquent rappelées par l’entremise de la partie de ce système qui s’associe avec les deux impressions ou même simplement par une partie de ce système. Mais il s’agit toujours d’une association systématique et nullement d’une association par contiguïté. Autant que je puis interroger mon expérience personnelle, lorsqu’un livre ou bien un passage d’un livre ou encore un air de musique fait vibrer en moi un sentiment autrefois éprouvé, il ranime en même temps une notable partie de l’ancien moi que j’étais alors.

C’est un ancien système d’impressions et d’idées qui s’éveille, une manière particulière d’être et de sentir, une cénesthésie nouvelle, et non pas une simple impression détachée. Encore dans quelques-uns des cas que je rappelle pourrait-on voir autre chose qu’une simple liaison de contiguïté entre les divers phénomènes éveillés, dans le rapport, par exemple, d’un air d’opéra avec un sentiment déterminé qui peut être causé directement par la nature la nature propre de cet air. Je suis d’avis par conséquent que dans toutes nos associations il existe une systématisation des éléments psychiques plus ou moins visible et plus ou moins rapprochée de la perfection, et que les prétendues associations par contiguïté et ressemblance ne sont en réalité que des associations systématiques. Cette théorie me paraît plus conforme à une analyse complète et plus satisfaisante au point de vue de la synthèse générale des lois mentales.