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qu’il la méditait depuis longtemps et que c’est lui qui en est le véritable auteur[1].

Pour établir une fois de plus que le principe de l’équilibre des liqueurs s’applique bien au cas que Pascal examine, il faudrait, après avoir ainsi fait varier la cause, la supprimer, s’il était possible, et voir si l’effet subsiste néanmoins. Mais comment enlever toute la masse d’air qui pèse sur nous ? Pascal tourna la difficulté : il parvint à soustraire à l’action de cette masse un tube plein de vif-argent ; et, comme il l’avait prévu, le phénomène manqua totalement. Il mit pour cela deux tuyaux l’un dans l’autre : le vif-argent du tuyau intérieur demeura suspendu à la hauteur ordinaire, tant qu’il fut contrebalancé et pressé par la pesanteur de l’air ; mais il tomba entièrement, lorsque, par le moyen du vide qu’on fit dans le tuyau qui l’enveloppait, il ne fut plus pressé ni contrebalancé d’aucun air, « en ayant été destitué de tous côtés ». Plus de cause, partant plus d’effet ; comme tout à l’heure, à une cause variable correspondait un effet variable également. Pour parler d’avance le langage de Stuart-Mill, à la méthode des variations concomitantes n’était-ce pas ajouter celle des différences ? Et si l’expérience du Puy-de-Dôme fut revendiquée par Descartes, personne ne refusa à Pascal l’invention de cette autre expérience, assez significative déjà, qu’il fit auparavant, l’été de 1647, et que lui-même appelait « le vide dans le vide[2] ».

Pourquoi, d’ailleurs, Pascal aurait-il frustré Descartes de sa gloire, lui qui, dans la lettre à M. Le Pailleur, comme son père dans la semonce qu’il adressa au P. Noël, reconnaît sans difficulté ce qui appartient au philosophe ; lui qui, plus tard encore, écrivant à M. de Ribeyre, déclare qu’il fera avec un soin extrême la part de chacun dans cette grande découverte. Essayons de la faire nous-mêmes à sa place.

L’opinion que l’air est pesant commençait à reparaître, et nous avons vu qu’elle était acceptée même du P. Noël. Galilée l’avait établie de nouveau invinciblement. En outre, frappé de l’observation des fontainiers de Florence, que l’eau ne s’élevait dans les pompes que jusqu’à une certaine hauteur, il avait constaté dans des appareils plus ou moins semblables à des pompes le même effet

  1. Lettre du 12 juillet 1651, p. 79, t.  III de l’édit. in-18 : « Il est véritable, monsieur, et je vous le dis hardiment, que cette expérience est de mon invention ; et partant, je puis dire que la nouvelle connaissance qu’elle nous a découverte, est entièrement de moi. »
  2. Lettre à M. Périer, du 15 nov. 1647 (p. 139, t.  III de l’édit. in-18). Cf. Traité de la pesanteur de la masse de l’air, c. VI (Ib., p. 117-118).