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HERBERT SPENCER.la morale de kant

la formule de Kant que l’homme qui poursuit le bonheur « passe à côté des véritables satisfactions ? » Tout le bonheur est fait de satisfactions. La « satisfaction véritable » que Kant nous offre comme alternative doit être une espèce de bonheur ; et si la satisfaction est plus véritable, le bonheur doit être plus grand ou supérieur : supérieur doit s’entendre de l’intensité, et plus grand, de la durée. Si cette « véritable satisfaction » ne veut pas dire plus grand bonheur de l’individu — prochain ou éloigné, dans une autre vie, sinon dans celle-ci — et si elle ne signifie pas le bonheur plus grand d’assurer le bonheur des autres, alors vous me proposez comme but un bonheur moindre au lieu d’un bonheur plus grand, et je refuse. »

En sorte que, dans ce refus déclaré de voir dans le bonheur une fin, est impliqué inévitablement qu’il est la fin.

VIII

Cette dernière considération nous conduit naturellement à un autre point capital de la doctrine de Kant. Pour qu’il n’y ait aucune méprise dans ma façon de le représenter, je vais le citer tout au long.

« Je laisse ici toutes les actions qui sont déjà reconnues comme incompatibles avec le devoir, bien qu’elles puissent être utiles à ceci ou à cela : aussi bien, avec elles la question de savoir si elles sont accomplies par devoir ne peut pas se poser, puisqu’elles sont même en conflit avec le devoir. Je laisse également de côté ces actions qui, en réalité, sont conformes au devoir, mais pour lesquelles les hommes n’ont aucune inclination directe, et qu’ils accomplissent forcés par une inclination étrangère. Aussi bien, dans ce cas, nous pouvons rapidement reconnaître si l’action qui est conforme au devoir est faite par devoir ou par attrait personnel. Il est beaucoup plus difficile de faire cette distinction quand l’acte est conforme au devoir et que le sujet a de plus une inclination directe à l’accomplir. Par exemple, c’est toujours un devoir pour un marchand de ne pas abuser d’un client inexpérimenté ; où il y a beaucoup de commerce, le marchand prudent ne surfait pas ses prix, mais garde un prix fixe pour tout le monde, en sorte qu’un enfant peut venir acheter auprès de lui aussi bien que n’importe qui. Les gens sont ainsi honnêtement servis ; mais ce n’est pas assez pour nous faire croire que le marchand a agi de la sorte par devoir et par respect pour les principes de l’honnêteté ; son intérêt personnel le lui demandait ; il n’est pas dans la question de supposer que, dans ce cas, il pourrait de plus avoir une inclination directe en faveur des acheteurs, en sorte que ce serait pour ainsi dire par amour qu’il ne donnerait aucun avantage à l’un sur l’autre (!). En conséquence l’action a été faite non par devoir, ni par inclination directe, mais sim-