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demment à elle, quels qu’ils soient, sans se demander si ces faits sont ou non contraires à telle vérité présupposée que l’on a d’avance dans l’esprit.

Que serait-il arrivé si, lorsque Copernic et Galilée se sont mis à la recherche du vrai système du monde, on leur avait dit : « Prenez garde à la voie dans laquelle vous vous engagez. Si vous persistez jusqu’au bout dans cette voie, vous allez vous trouver en face d’une croyance théologique, et vous blesserez la conscience. Une fois la théologie ébranlée sur un point, elle le sera sur tous les autres. Il n’y aura plus de critérium de vérité. Nous tomberons dans le scepticisme. » Si Galilée, au lieu d’être un savant, n’eût été qu’un croyant, il eût fermé les yeux à l’évidence ; il eût écarté les faits les plus certains, et il eût interprété les autres faits comme le système reçu l’eût exigé. L’astronomie moderne ne se serait pas fondée ; et un nombre incalculable de vérités capitales serait resté enfoui pour l’homme. Heureusement, Galilée était un savant qui ne pensait qu’à la science. Il s’est dit que la vérité ne peut pas contrarier la vérité ; et que, si le système de Copernic était vrai, il faudrait bien que la théologie s’en accommodât ; et c’est ce qui est arrivé. Aujourd’hui, le système de Copernic s’enseigne partout, même à Rome ; il fut convenu que lorsque Josué a arrêté le soleil, cela voulait dire qu’il arrêtait la terre et les autres planètes : explication plausible dont on aurait dû s’aviser plus tôt. Depuis ce grand et mémorable événement la science fut émancipée. La théologie, avertie des dangers qu’elle courait dans de tels conflits, reconnut que l’astronomie, la physique et les autres sciences ne relèvent pas de la théologie, qu’elles n’ont pas à se préoccuper ni de la théologie, ni des dogmes révélés. Le seul critérium, c’est l’évidence, soit l’évidence de fait, prouvée par l’expérience, soit l’évidence de démonstration.

En serait-il autrement de la philosophie ? D’où viendrait cette différence ? La philosophie ne fait continuer que les autres sciences. Celle-ci eut pour objet les êtres particuliers ; celle-là l’être universel. Celles-ci se bornent à l’homme physique ; celle-là pénètre jusqu’à l’homme intellectuel et moral. Mais il s’agit toujours de la même chose : savoir et comprendre. Or, on ne peut le comprendre que par l’usage libre de la raison, par l’observation, par l’expérience, aussi, quand cela est possible, par l’analyse des idées, par l’induction et la déduction ; et quoiqu’il soit difficile, peut-être même impossible d’arriver au même degré de certitude affirmative que dans les autres sciences, bien loin que ce soit là une raison d’être moins sévère en matière d’évidence ; au contraire, c’est une raison de l’être plus. Plus la chose est délicate, plus il faut y regarder de près.