Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
revue philosophique

aident arrivent plutôt à se rencontrer dans un ingénieux esprit. Par ces deux voies la vie sociale doit atteindre nécessairement un degré d’unité et de force logique inconnu auparavant[1].

Ce que nous venons de dire au sujet des idées et des actions qui ont pour objet le monde réel ou la vie réelle, s’applique aussi bien aux idées et aux actions qui ont trait au monde et à la vie imaginaires. Le rêve, à vrai dire, fait partie de la réalité comme le brouillard fait partie d’un paysage. De tous côtés viennent aux peuples primitifs, non seulement des connaissances ou des conjectures plus ou moins positives, mais des légendes ou des rêveries héroïques et religieuses ; non seulement des recettes industrielles, des arts nouveaux, mais encore des rites et des formules de prières, sorte d’industrie transcendante. Or, pendant que la pauvre pensée des savants d’alors se nourrit comme elle peut par d’heureuses combinaisons de faits et des triages intelligents d’hypothèses, la pensée des théologiens fait son chemin en éliminant et en combinant beaucoup de dogmes et de légendes, pour former un corps de doctrine cosmogonique ou théogonique, incohérent à nos yeux sans doute, mais bien moins incohérent à coup sûr que le reste des cerveaux du temps. Et, pendant que l’industrie de ces époques reculées s’organise peu à peu par l’abandon de maints outils ou procédés reconnus moins commodes, et par l’agencement ingénieux de plusieurs outils ou procédés concourants, pareillement le culte public ou privé de ces âges ne cesse de se fortifier par le rejet de certains rites contraires à l’esprit général de la religion dominante, à sa thèse capitale, et par l’adoption des rites nouveaux, combinaison de rites anciens. Seulement, il est à noter que le double travail d’organisation logique dont il vient d’être parlé s’exerce d’abord avec un succès marqué sur les croyances et les besoins relatifs à l’invisible, longtemps avant que s’opère au même degré la systématisation inventive ou critique, créatrice ou éliminatrice, des croyances et des besoins positifs. Aussi la terre a-t-elle vu des catéchismes appris par cœur et passablement déduits, des livres sacrés d’une certaine beauté, de puissantes hiérarchies sacerdotales, des processions majestueuses de canéphores

  1. On voit maintenant pourquoi le procédé de majoration de foi nationale, qui consiste à expulser du sein d’un peuple ses contradicteurs, religieux ou politiques (révocation de l’édit de Nantes, persécutions religieuses de tout genre), est toujours loin d’atteindre son but. On maintient de la sorte, il est vrai, les populations dans l’ignorance des contradictions qui peuvent atteindre leurs croyances ; mais si le faisceau de celles-ci est maintenu par là, on empêche aussi qu’il en reçoive des accroissements. Car l’ignorance des contradictions qui émousse le sens critique stérilise aussi l’imagination et obscurcit la conscience des mutuelles confirmations. D’ailleurs il vient un moment où, comme dit Colins, l’examen est incompressible.