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BOURDONl’évolution phonétique du langage

VIII

Les causes et conditions précédemment énumérées doivent avant tout servir à expliquer les deux cas principaux de changement phonétique distingués par les linguistes, savoir les lois phonétiques et les formations analogiques. Par lois phonétiques, on entend ce phénomène que dans chaque langue une articulation ou un groupe d’articulations se modifie de la même manière dans tous les mots, toutes les conditions et spécialement les conditions d’articulation restant égales. Comme exemples de lois phonétiques nous avons déjà cité en allemand les lois de Grimm et de Verner ; une loi phonétique grecque bien connue, c’est celle de la disparition du digamma ; une autre, c’est, par exemple, celle de la transformation de l’s au commencement des mots et devant une voyelle en h, ex. ἑπτὰ, lat. septem, ἕρπω, lat. serpo, etc., de la disparition du même s entre deux voyelles dans le corps des mots, ex. νυός, lat. nurus, etc.[1] ; en français, c’est par exemple une loi que l’s disparaisse devant une consonne (épine, goût, etc., de spina, gustus, etc.), qu’n à la fin des syllabes se vocalise. En nouveau haut-allemand, c’est une loi également que la prononciation forte après a, o, u, douce après a, e, i, ü, ö, du ch, sorti dans tous les cas d’un k primitif.

Les lois phonétiques, telles que les conçoivent les linguistes, ont à la fois une généralité individuelle et sociale, c’est-à-dire qu’elles se vérifient pour tous les mots où une articulation déterminée se rencontre chez le même individuu et pour tous les individus ; c’est pour cela qu’on n’appelle pas une loi phonétique, quoique en un sens ce soit aussi une loi, la simple généralisation sociale d’une façon de prononcer un mot particulier, par exemple, la généralisation de aimons au lieu du primitif amons. Ce que nous avons appelé la généralisation individuelle s’explique par l’action persistante de certaines causes. Ces causes, vraisemblablement, sont physiques ou anatomiques ou physiologiques, c’est-à-dire se rattachent les unes au climat, les secondes à une modification anatomique survenue dans les organes, les dernières à l’influence de l’habitude (causes ethnologiques). De ces trois ordres d’influences, la dernière est celle dont l’action peut être considérée comme le mieux établie.

Quant à la généralité sociale d’une loi phonétique, elle peut avoir les mêmes causes que sa généralité individuelle ou avoir une cause

  1. G. Meyer, Griechische Grammatik, 2e Aufle, p. 222. L’r dans nurus est lui-même pour s.