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pacifique, elle n’aime pas la guerre : il y a conflit entre l’esprit militaire et l’esprit démocratique, mais l’esprit militaire n’est pas vaincu et des guerres pourront plus d’une fois encore ensanglanter l’Europe, qui ploie sous le poids des armements gigantesques de toutes les puissances. Une autre guerre se prépare lentement, plus terrible que celles-là, c’est la guerre sociale : chaque jour la lutte devient plus âpre entre le capital et le travail, le patron et l’ouvrier ; la lutte des classes, voilà le cri de guerre de presque tous les réformateurs contemporains. Ils espèrent que des arrangements sociaux mieux combinés permettront à tous de vivre sans privations, que des réformes votées par un Parlement, des lois, des décrets pourront suppléer au dur labeur de chacun, à son effort de tous les jours, aussi veulent-ils s’emparer du pouvoir pour être en mesure de faire une meilleure répartition des richesses ; ils oublient souvent qu’il ne s’agit pas de partager aux habitants d’un pays des richesses dont le gouvernement disposerait à son gré ; la vérité, c’est que ces richesses, il faut les créer chaque jour, et que, pour les produire, il faut que chacun fasse effort. Cet effort, quelle raison le travailleur aurait-il de le faire si son intérêt ne l’y engageait pas, intérêt qui n’existe que sous le régime de la concurrence. Faudrait-il compter sur le dévouement, sur l’amour ? Mais si l’amour était le véritable mobile de tous les actes humains, il serait bien inutile de rien changer aux cadres de la société. Il faudra donc recourir à la contrainte, mais c’est aller contre son but et opprimer ceux-là même que l’on voulait affranchir. Ce n’est pas au reste que M. Sécrétan soit l’adversaire de toutes les transformations sociales, il reconnaît que la propriété foncière n’est qu’un arrangement commode et qu’il sera bon de le modifier le jour où l’on en aura trouvé un meilleur. L’héritage n’est guère justifié à ses yeux que par des considérations pratiques : si les biens de chaque individu faisaient après sa mort retour à la société, la production diminuerait et la première condition d’une bonne répartition de la richesse, c’est l’augmentation de la richesse. Au reste ceux-là seuls qui possèdent plus que le nécessaire peuvent épargner et l’épargne seule permet à l’industrie d’exister et de faire des progrès. L’impôt progressif peut cependant se justifier si l’État épargne, lui aussi, et capitalise l’impôt. Mais il ne faut jamais oublier que le véritable but ce n’est pas seulement de donner au travailleur plus de bien-être, mais que c’est aussi de l’affranchir, il ne faut pas le pousser à s’abandonner lui-même. Les règlements faits par les divers États ne pourraient avoir un effet utile que grâce à une entente internationale ; ce ne sont au reste que des palliatifs. Le véritable remède, c’est d’augmenter la part proportionnelle de l’ouvrier tout en augmentant la masse à partager, de telle sorte que le patron n’y perde rien. La loi du salaire, telle que l’ont formulée les socialistes de l’école de Marx, n’est pas une loi exacte : les véritables causes de la misère sont des causes morales, mais, pour que les ouvriers puissent travailler sérieusement à leur affranchissement, il faut qu’ils ne se lais-