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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

même de la vie individuelle, une évolution correspondant à l’évolution de la vie sociale et qui la rend possible, qui en est la cause au lieu d’en être le résultat. »

L’école anglaise, par cela même qu’elle est trop utilitaire et, à l’exemple d’Épicure, trop hédoniste, donne prise à une double objection : elle se place trop exclusivement au point de vue de la finalité ; de la causalité du conscient, non de l’inconscient, et elle demeure par là trop fidèle à la méthode des anciens moralistes. Or, dit Guyau, il ne faut pas croire que la plupart des mouvements partent de la conscience et soient des fins poursuivies ; une analyse scientifique des ressorts de la conduite ne doit pas tenir compte seusement des mobiles conscients ; la conscience n’est qu’un point lumineux dans la grande sphère obscure de la vie ; c’est une petite lentille groupant en faisceaux quelques rayons de soleil et s’imaginant trop que son foyer est le foyer même d’où partent les rayons. « Le ressort naturel de l’action, avant d’apparaître dans la conscience, devait déjà agir au-dessous d’elle, dans la région obscure des instincts ; la fin constante de l’action doit avoir été primitivement une cause constante de mouvements plus ou mois inconscients. Au fond, les fins ne sont que des causes motrices habituelles, parvenues à la conscience de soi… La sphère de la finalité coïncide, au moins en son centre, avec la sphère de la causalité (même si, avec les métaphysiciens, on considère la finalité comme primitive). Ce problème : quelle est la fin, la cible constante de l’action ? devient donc, à un autre point de vue, celui-ci : quelle est la cause constante de l’action ? Dans le cercle de la vie, le point visé se confond avec le point même d’où part le coup… Le but qui, de fait, détermine toute action consciente est dans la cause qui produit toute action inconsciente : c’est donc la vie même, la vie à la fois la plus intense et la plus variée dans ses formes. »

Il y a en nous de la force accumulée qui demande à se dépenser ; quand la dépense en est entravée par quelque obstacle, cette force devient désir ou aversion ; quand le désir est satisfait, il y a plaisir ; quand il est contrarié, il y a peine ; mais il n’en résulte pas, comme l’ont cru Épicure et les utilitaires, que l’activité emmagasinée se déploie uniquement en vue d’un plaisir, avec un plaisir pour fin et motif plus ou moins conscient ; « la vie se déploie et s’exerce parce qu’elle est la vie. Le plaisir accompagne chez tous les êtres la recherche de la vie, beaucoup plus qu’il ne la provoque ; il faut vivre avant tout, jouir ensuite. Le plaisir n’est pas premier ; ce qui est premier et dernier, c’est la fonction, c’est la vie… La jouissance, au lieu d’être une fin réfléchie de l’action, n’en