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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

à la liberté, comme dans Kant, il faut trouver un déterminisme naturel d’impulsions et de sentiments qui, par la réflexion sous forme d’idées, se confirme et se règle lui-même, se révèle à lui-même comme loi en même temps que comme moteur.

Il est difficile de nier la pénétration avec laquelle Guyau a marqué les desiderata de l’évolutionisme anglais et les perfectionnements dont l’utilitarisme a besoin. Examinons maintenant le principe moral qu’il propose. Ce principe est la vie même prenant conscience de son intensité et de son extension et, par cette conscience même, devenant de plus en plus généreuse. La vie, selon lui, satisfait aux diverses conditions requises pour la solution du problème moral. D’abord, elle est cause, en même temps que fin, cause universelle de nos actes et fin universelle de ces mêmes actes : « Depuis le premier tressaillement de l’embryon dans le sein maternel jusqu’à la dernière convulsion du vieillard, tout mouvement de l’être a eu pour cause la vie en son évolution ; cette cause universelle de nos actes, à un autre point de vue, en est l’effet constant et la fin. » La vie est universellement désirée, et tout ce qu’on désire est toujours quelque forme ou quelque fonction de la vie : la satisfaction de l’intelligence, par exemple, ou, comme dit Kant, de la raison pure, c’est encore au fond la satisfaction de la vie dans sa fonction la plus élevée, dans son penchant le plus proprement humain. Or, le fond de tout désir, l’essentiellement désiré, c’est ce qu’on appelle le désirable. Analysez la notion du désirable, vous reconnaîtrez qu’une chose est toujours désirable par rapport à quelque désir présupposé et antérieurement existant, et que le suprême désirable, c’est ce qui est propre à satisfaire le suprême désir. Or, le suprême désir, c’est-à-dire ce que tous en fait nous désirons le plus et toujours, c’est la vie la plus intensive et la plus extensive sous tous les rapports, au physique et au moral. La vie est donc bien cause et fin, synthèse du désiré et du désirable.

En même temps, elle est le ressort commun aux deux sphères de l’inconscient et du conscient : l’inconscient, c’est la vie ; le conscient, c’est encore la vie se réfléchissant sur soi et offrant un degré supérieur de lumière, de transparence, c’est-à-dire au fond de concentration. Aussi l’instinct et la réflexion ne sont plus ici en antinomie : la vie, en acquérant la conscience de sa plus grande intensité et de sa plus grande extension, ne tend pas à se détruire : elle se fortifie au contraire, et l’instinct fondamental qui la constitue, en se réfléchissant, ne fait que condenser ce qu’il renferme de puissance.

Reste à savoir si la grande antinomie de l’égoïsme et de l’altruisme, de l’individuel et du social, trouvera sa solution dans le