Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/459

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
449
DURKHEIM.suicide et natalité

netteté. Pour apprécier justement ce premier document, il faut surtout tenir compte de ce fait que parmi les pays qui font partie de la première classe, il en est où l’abondance des suicides n’est certainement pas due à une natalité trop faible, mais bien plutôt à une natalité trop forte. Tel est certainement le cas de l’Allemagne. La seule présence de ce pays si prolifique dans la première de nos deux classes en élève sensiblement la natalité moyenne. Si en effet on en retire la Prusse et la Bavière, on trouve :

Pays où le suicide est le plus fréquent. Natalité moyenne, 31,7.

Pays où le suicide est le moins fréquent. Natalité moyenne, 35,7.

Si, malgré la présence de cette cause perturbatrice, l’influence d’une natalité faible sur le suicide se fait néanmoins sentir, c’est qu’elle est malgré tout assez générale. Aussi Morselli à qui nous avons emprunté le tableau ci-dessus ne peut s’empêcher de reconnaître le fait tout en renonçant à l’expliquer. Il demande qu’on le soumette à un examen plus détaillé[1]. C’est ce que nous allons essayer de faire.

Cette première expérience est doublement instructive. En même temps qu’elle nous fournit une première preuve, imparfaite il est vrai, de notre hypothèse, elle nous indique où il faut aller chercher les éléments d’une démonstration plus complète. Ce n’est évidemment ni dans les pays où la natalité est très forte, ni dans ceux où elle est simplement bonne que nous trouverons les faits dont nous avons besoin. Dans les premiers, en effet, la natalité tendrait plutôt à produire le suicide au lieu de le prévenir ; dans les autres, nous n’aurions pas un champ d’observations suffisamment variées. Il faut donc nous adresser à un peuple où la natalité moyenne soit faible. La France ne remplit que trop cette condition.

II. — Suicide et croît physiologique dans les départements français.

On mesure souvent la natalité en divisant le nombre de naissances annuelles, défalcation faite des mort-nés (), par le chiffre total de la population (). On obtient ainsi ce qu’on appelle la natalité générale. Mais cette mesure est des plus imparfaites, car la population générale comprend un grand nombre de sujets qui ne sont pas encore ou ne sont plus capables de se reproduire, les impubères et les vieillards ; et comme ils sont inégalement distribués sur la surface du territoire, la comparaison des départements au point de vue de la natalité se trouve ainsi faussée. Là où ils sont le plus nombreux, ils

  1. Morselli, Il suicidio, p. 199.