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mais par un autre procédé que la tache aveugle de Mariotte ; tandis que la tache aveugle est comblée, dans la vision binoculaire, par les perceptions correspondantes de l’autre œil et, dans la vision monoculaire, par une extension des couleurs et des objets environnants, ce qui produit l’illusion d’un champ visuel continu, la moitié droite du champ. visuel est remplie chez M. C… par les sensations reçues sur l’autre moitié du même champ, qui est intacte ; et ce mode de remplissage a aussi pour effet de donner au malade l’illusion que son champ visuel est intégralement conservé, et qu’il voit aussi bien dans la partie droite que dans la partie gauche.

2o La seconde question que nous avons posée à M. C… est relative à ses rêves, et la réponse obtenue est analogue à celle qui nous a été faite pour la mémoire. M. C… perd pendant ses rêves le souvenir de son hémiachromatopsie, parce qu’il voit des objets colorés dans tous les points de son champ visuel ; il n’a point, comme pendant la veille, cette impression pénible d’objets coupés par la moitié. En d’autres termes, chez ce malade, le champ visuel du rêve est intact comme le champ visuel de la mémoire. Ces faits sont évidemment d’une constatation délicate ; on ne peut pas les observer directement ; il faut se contenter de recueillir les réponses du malade. C’est peut-être là précisément ce qui fait le prix de l’observation de M. C… ; car on trouverait difficilement un malade plus intelligent, plus instruit, et plus disposé à donner des renseignements exacts sur son état.

Voici un exemple donné par le malade. Au cours d’une légère indisposition, M. C… a passé une mauvaise nuit, pendant laquelle il a été obsédé par un rêve, toujours le même, qui cessait lorsqu’il se réveillait, et recommençait quand il s’endormait de nouveau. Dans ce rêve, M. C… était poursuivi par l’idée bizarre de ranger des briquettes perforées, et de former un lit pour s’y coucher ; il voyait les briquettes dans leur entier ; il ne s’apercevait nullement que la moitié de son champ visuel était supprimée.

3o Nous avons ensuite recherché dans quelle mesure l’existence de l’hémiopie mettait un obstacle à la production des images consécutives. Nous avons étudié ailleurs les images consécutives, et montré, après M. Parinaud, que ces phénomènes n’ont point pour siège la rétine, mais le cerveau[1]. Quelques auteurs sont même allés jusqu’à l’assimilation complète de l’image consécutive avec le souvenir visuel, et M. Féré s’est placé à ce point de vue pour étudier le rappel de l’image consécutive, par des excitations périphériques, et la durée du temps après lequel l’image consécutive cesse de pouvoir être rappelée. Les faits précédents nous ont conduits à rechercher si l’image consécutive peut subsister, comme l’image du souvenir visuel, malgré l’hémiopie, c’est-à-dire si l’image consécutive peut être provoquée dans la partie hémiopique du champ visuel. L’expérience a donné un résultat négatif. Nous prions

  1. Psychologie du raisonnement, ch.  i.