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secours à la multiplication de telles autres, moins prolifiques pourtant. Enfin, 3o on voit très souvent les antagonistes réconciliés, ou l’un d’eux poliment et volontairement expulsé, par l’intervention d’une découverte ou d’une invention nouvelle. Arrêtons-nous à ce dernier cas, qui me paraît le plus important, car la condition qui intervient ici n’est pas extérieure, mais interne. D’ailleurs la découverte ou l’invention triomphante qui intervient ici joue le rôle de l’éclair de génie militaire, de l’heureuse inspiration du général sur le champ de bataille, qui, dans le cas précédent, avait déterminé la victoire de son parti. Par exemple, la découverte de la circulation du sang a seule pu mettre fin aux discussions interminables des anatomistes du xvie siècle ; les découvertes astronomiques dues à l’invention du télescope au commencement du xviie siècle, ont seules résolu, en faveur de l’hypothèse pythagoricienne et contrairement à celle des aristotéliciens, la question de savoir si le soleil tournait autour de la terre ou la terre autour du soleil, et tant d’autres problèmes qui divisaient en deux camps les astronomes. Ouvrez une bibliothèque quelconque, combien de questions jadis brûlantes, aujourd’hui refroidies ; combien de volcans, maintenant éteints, y verrez-vous en éruption d’arguments et d’injures ! Et, presque toujours, le refroidissement s’est opéré comme par miracle à partir d’une découverte savante, voire même érudite ou imaginaire. Il n’est pas une page de catéchisme, à présent récitée sans contestation par les fidèles, dont chaque ligne n’exprime le résultat de polémiques violentes entre les fondateurs du dogme, Pères ou Conciles ; et qu’a-t-il fallu pour terminer ces combats parfois sanglants ? La découverte d’un texte sacré plus ou moins authentique, ou une nouvelle conception théologique, à moins qu’une autorité réputée infaillible n’ait tranché de force le différend. De même, que de conflits entre les volontés et les désirs des hommes ont été apaisés, ou singulièrement amortis par une invention industrielle ou même politique ! Avant celle des moulins à eau ou à vent, le désir d’avoir du pain et la répulsion pour le travail énervant de la mouture à bras se trouvaient en lutte ouverte dans le cœur des maîtres et des esclaves. Vouloir manger du pain, c’était vouloir cette fatigue atroce, pour soi ou pour autrui, et ne pas vouloir cette fatigue pour soi, quand on était esclave, c’eût été vouloir que personne ne mangeât du pain. Mais, quand le moulin à eau fut inventé, immense soulagement pour les bras serviles, ces deux désirs cessèrent d’être un obstacle l’un à l’autre. Pareillement, jusqu’à l’invention du chariot, l’une des plus merveilleuses de l’homme antique, le besoin de transporter de lourds fardeaux et le désir de ne pas s’épuiser à les porter sur ses épaules ou de n’en pas accabler ses bêtes de somme,