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ANALYSES.o.-k. notovitch. Liberté de la volonté.

de fortes études préalables, jointe à un défaut de discipline ou d’entraînement intellectuel qui possède toute la saveur des choses agrestes, mais aussi tous leurs inconvénients. Quant au radicalisme, il est peut-être de meilleur aloi : dédaigneux ou insoucieux des bagatelles de la porte, l’esprit slave n’aime pas s’arrêter aux préliminaires des questions, si grosses qu’elles soient ; il tourne les obstacles plutôt que d’employer son temps à les vaincre ou les détruire ; une ardeur naïve le pousse à chercher le fond des choses, et une finesse byzantine lui sert à cacher, souvent à ses propres yeux, ses fréquentes et inévitables déceptions.

Un souffle juvénile traverse et anime la littérature de vulgarisation philosophique qui est la seule que connaisse et admette la Russie contemporaine. Depuis plus d’un quart de siècle, l’on s’y occupe d’expliquer, de populariser, de mettre à la portée des plus sots et des plus ignorants les graves problèmes qui partout inquiètent les esprits et troublent les consciences. Ce n’est pas du haut des chaires universitaires, toutefois, ni dans de gros volumes écrits par des philosophes de profession, que se produit d’ordinaire cette propagande. Je ne citerai ici aucun nom ; mais les Russes lettrés reconnaîtront leurs philosophes les plus populaires dans des écrivains de revues, des journalistes, des critiques qui, à propos d’un roman, d’une nouvelle, d’un livre de classe et même d’un manuel de cuisine — la chose s’est vue —, à propos d’un fait divers de cours d’assises, d’une polémique quelconque, d’une statistique insignifiante, ont soulevé d’intéressantes discussions philosophiques, ont agité des questions morales et sociales de l’ordre le plus élevé. En somme, et pour peindre la situation d’un trait, quand, après lecture des ouvrages spéciaux de l’Occident, on aborde la littérature philosophique la plus goûtée en Russie, on a un peu l’impression que causerait le brusque passage d’une séance du Palais-Bourbon à une réunion de la salle Favié ou de la rue Sainte-Geneviève ; cela dit en très bonne part, et sans vouloir le moins du monde fermer les yeux à ce fait, que les discussions sont souvent aussi oiseuses dans le premier cas que dans le second, ou qu’on peut facilement retrouver dans la masse des volumes qui se publient journellement en Allemagne, en Angleterre, en France et en Italie, les illogismes, les contre-sens et les fautes de raisonnement qui déparent la philosophie militante des Russes.

Pour en revenir au livre de M. Notovitch, je crois que ses défauts doivent être imputés plutôt au milieu intellectuel qu’à l’auteur lui-même ; quant à ses qualités, qui sont nombreuses, elles me paraissent plus personnelles. M. Notovitch a du jugement, de la pénétration ; il sait établir clairement une proposition et en tirer des conséquences souvent inattendues ; mais il a par-dessus tout un esprit subtil et délié qui lui permet de saisir les fautes et les faiblesses des adversaires. Ainsi, dans le petit volume que j’ai sous les yeux, il y a une polémique contre Schopenhauer et ses théories