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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

faites antérieurement sur l’avenir de la morale. Il est certain qu’il attribue à la science et à l’esprit critique un rôle considérable dans le travail de dissolution religieuse. Ce serait un tort si ce rôle était représenté comme exclusif ; mais, d’autre part, est-il exact, avec l’école allemande et anglaise, de réduire presque à zéro l’influence de la science ? « Si les religions, dit-on, n’avaient eu d’autre tort que de se trouver en désaccord avec les vérités scientifiques, elles seraient encore très bien portantes. Si, malgré ce conflit, les sociétés avaient continué à avoir besoin de la foi religieuse, on en aurait été quitte pour nier la science. » Est-ce donc si facile de nier la science, lorsque celle-ci se manifeste par des résultats visibles et tangibles, par des inventions qui envahissent la vie privée et publique : télégraphes, chemins de fer, bateaux à vapeur, lumière électrique, aérostats, découvertes chimiques, découvertes physiologiques, hypnotisme, etc. ? Le peuple a la foi de saint Thomas, il croit ce qu’il voit et touche ; or, c’est aujourd’hui la science qui fait les vrais miracles. La géologie a renversé les traditions de la plupart des religions ; la physiologie, en étudiant le système nerveux, donne l’explication des miracles anciens ; l’histoire et l’exégèse attaquent les religions jusque dans leurs fondements mêmes. En outre, la science pénètre de plus en plus l’éducation, même l’éducation populaire. Si quelques religions peuvent se modifier pour s’adapter aux idées nouvelles, le dogmatisme catholique, lui, est enfermé dans des limites infranchissables : il faudra toujours, pour être catholique, soutenir l’incarnation, l’enfer, l’immaculée conception et l’infaillibilité du pape. Quant au protestantisme lui-même, à force de s’adapter et de se réadapter, il finira par n’être plus qu’une religiosité vague, un symbolisme inconséquent, une philosophie par images.

Certes, on a raison de remarquer combien la logique est peu puissante pour détruire la foi individuelle. Si les arguments de la philosophie sont assez forts pour affermir l’incrédule dans son opinion, ils n’arrivent guère à convertir le croyant. Mais comment aller jusqu’à dire : « La logique peut tout aussi bien servir à défendre la foi qu’à la combattre ; le théologien, pour la prouver, ne fait pas de moins beaux raisonnements que le libre penseur pour la réfuter. » — De moins beaux, oui ; mais de moins bons ?… Il y a là certainement quelque exagération ; la preuve en est que beaucoup d’entre nous ont commencé par croire, pour finir par ne plus croire ; et cela, grâce à l’acquisition d’un certain nombre de connaissances historiques, scientifiques et philosophiques. Accordons cependant le peu de puissance de la logique sur l’individu, surtout sur l’homme mûr, qui