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variétés

crains qu’il n’arrive en France (et en France bien plus encore que partout ailleurs) ce qui, lors de son apparition, est arrivé en Allemagne, qu’un grand nombre de têtes faibles et légères n’ont cru trouver en Kant que le patriarche du scepticisme, et même de l’athéisme. Il faudrait donc, à mon avis, mettre à la tête de l’ouvrage une introduction bien serrée pour les principes, et bien intelligible pour la partie du style ; et je pense que l’on ferait bien d’ajouter à la fin un précis de l’ouvrage que Kant a donné, il y a deux ans, sur la religion chrétienne…

Blessig.
Strasbourg, 27 juin 1810.

…La nouvelle philosophie du criticisme allemand, ou les écoles de Kant, Fichte et Schelling nous ont régalé d’un mysticisme enté sur l’idéalisme tellement sublimé, spiritualisé, alambiqué qu’il ne reste à la fin, de l’idée fondamentale et consolante du Dieu vivant, que la notion vague et abstraite d’un ordre moral qui s’observe dans le gouvernement du monde ; notion qui, d’après le dire de ces messieurs, ne résulte que des lois relatives de nos pensées humaines. Cet ordre moral les conduit à l’adoration d’un tout illimité, seule base de la réalité, tandis que tout ce qui est visible n’est que le reflet et le produit de l’activité intérieure de notre esprit. En un mot, c’est le panthéisme tout pur.

D’autres philosophes de la même école, disciples de Kant, qui n’adoptait pourtant pas le chaos de ce mysticisme impur, mettent, en frisant le stoïcisme, la vertu si haut que, pour en mériter le nom, il faut ne point consulter, ni même fixer au bout de la carrière le désir de la félicité, ni aucun désir quelconque, tel que celui de la bienveillance, de la piété filiale, mais n’envisager uniquement que le devoir et l’impératif catégorique, c’est-à-dire la loi morale, la voix de la conscience. Ce système présente quelque chose de bien respectable, mais n’en est pas moins fautif, parce qu’au lieu de subordonner les penchants, comme cela se doit, il les extirpe, désavoue l’ensemble des causes et des motifs qui, d’après la volonté et les secours que la bonté de Dieu nous envoie, doivent concourir à nous soutenir dans la voie du bien. Ces idées se sont introduites dans plusieurs systèmes de théologie moderne, d’abord chez les protestants, et puis en plusieurs universités et monastères catholiques, surtout de bénédictins. Voici donc encore de nouvelles sectes philosophiques et religieuses. J’ai essayé d’en tracer les premiers éléments dans une lettre pastorale dont je vous prie, mon vénérable ami, de vouloir bien agréer un exemplaire. Ce court mandement vous prouvera du moins cet esprit de paix et de concorde que je tâche d’inspirer et d’entretenir parmi mes confrères protestants…

Blessig.