Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
ANALYSES.greenleaf thompson. The Problem of Evil.

heur fournisse une règle absolue de conduite. Mais c’est un débat qui nous semble épuisé aujourd’hui, et dans lequel nous ne croyons pas devoir entrer ici.

Quoi qu’il en soit, l’observation du principe suprême de la morale utilitaire est pour M. Thompson le seul moyen efficace pour éliminer le mal de la société. Restreindre les impulsions égoïstes, fortifier l’altruisme, voilà le remède qu’il propose. Tout son livre n’est que le développement de cette thèse. On n’en saurait contester la vérité ; mais on se demandera peut-être si elle est bien originale. L’originalité, cependant, se retrouve dans les détails. M. Thompson insiste avec force sur l’inutilité des moyens législatifs, de l’action gouvernementale, pour développer l’altruisme. Il croit, et il établit, que le bonheur de la société exige la plus large expansion de la liberté individuelle. Il combat, avec une dialectique serrée et lumineuse, l’utopie socialiste (ch.  XXI).

Les quatre principaux moyens de réduire le mal au minimum sont, d’après notre auteur :

1o La conquête et l’asservissement des forces de la nature. C’est l’affaire de l’industrie, des arts mécaniques, de la physiologie, de la médecine. M. Thompson s’étonne que celle-ci n’ait pas fait plus de progrès. Il n’admet pas la thèse qu’un de ses compatriotes, M. Kirk, de New-York, a développée dans un ouvrage récent, « La possibilité de ne pas mourir ». Mais il croit qu’on pourrait notablement prolonger la durée moyenne de la vie. — C’était le rêve de Descartes. Il n’a rien d’irréalisable.

2o La sécurité et la justice. C’est l’objet du gouvernement qui fera tout le bien dont il est capable s’il empêche chacun de faire tort à autrui. M. Thompson est individualiste et repousse toute ingérence de l’État qui ne se borne pas à assurer l’ordre, et à prévenir ou réprimer la fraude et la violence.

3o L’effort altruiste. Maintenir la justice est chose négative ; il faut de plus agir par la philanthropie, individuelle ou collective, pour améliorer la condition humaine. Tous les moyens doivent être employés pour encourager cette disposition.

4o Le développement du caractère individuel par l’éducation. Il importe au bonheur public que chacun soit dressé à se surveiller lui-même, à se gouverner. Pour cela, l’égoïsme doit être réprimé, et un « idéal de vie altruiste doit être formé qui inspire et règle la conduite ». Ce sera l’œuvre de la famille, de l’école, de la prédication.

L’intérêt bien entendu conduit d’ailleurs l’individu à l’altruisme. S’il lui est utile que les autres se laissent guider par l’amour du prochain, s’il cherche, pour son propre bonheur, à fortifier chez autrui les penchants altruistes, il faut réciproquement qu’il ait tout au moins l’air de ne pas obéir lui-même uniquement aux calculs de l’égoïsme. Mais comment fera-t-il longtemps illusion sur ses propres sentiments ? Comment, égoïste au fond de l’âme, pourra-t-il tromper les autres par la