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de la nature physique, de la vie du corps, de la vie sociale, de la loi morale, selon qu’elle est en harmonie ou en antagonisme avec les tendances naturelles de la sensibilité. Cet antagonisme du devoir et de quelques-unes au moins de nos tendances, celles qui ont un caractère égoïste, lui paraît résulter de l’essence même de la loi morale, et il écarte l’hypothèse d’une corruption primitive devenue héréditaire. La morale, en effet, est la négation même de l’égoïsme. « Cet être qui ne cherche qu’à faire acte de volonté indépendante, elle prétend le plier sous une volonté supérieure ; à cet élan vers les jouissances sensuelles, elle oppose la prescription de la modération et de l’abstinence ; vis-à-vis de l’aspiration naturelle au bonheur, elle proclame la loi du sacrifice. Ce n’est donc pas notre nature corrompue qui se trouve en opposition avec la morale, c’est notre nature véritable. Et il faut bien qu’il en soit ainsi, car autrement quelle serait la raison d’être d’une loi imposée à notre libre arbitre ? Si l’homme n’avait qu’à suivre les impulsions de sa nature pour arriver au bien, quel mérite pourrait-il acquérir et à quoi servirait le sacrifice ? » Cette opposition constitue d’ailleurs une des bases de l’ordre universel.

La conclusion générale des analyses qui précèdent, c’est que le mal existe dans une large mesure. Dès lors se pose la question : Pourquoi ? Pourquoi le mal résultant pour l’homme, et aussi pour les animaux, du jeu des forces physiques ? Pourquoi le mal résultant du conflit des besoins, des tendances et des intérêts dans la société ? Pourquoi le mal moral, suite du libre arbitre, et le mal physique, conséquence si fréquente du mal moral ? Un arrangement meilleur n’était-il pas possible ? Ne peut-on concevoir la nature humaine mieux adaptée, par l’auteur des choses, aux milieux où elle se développe, plus en harmonie avec elle-même, en sorte que le bonheur, non la souffrance, fût, toujours ou dans la presque totalité des cas, l’effet inévitable de l’expansion de notre activité ? À ces questions, l’auteur ne croit pouvoir répondre qu’en pénétrant dans la pensée même de Dieu et en essayant de se faire une idée aussi nette que possible de son intelligence et de sa puissance.

La seconde partie de l’ouvrage paraîtra sans doute de beaucoup la plus originale. M. Ott se meut à l’aise dans les régions de la métaphysique la plus élevée.

Il pose en principe que Dieu existe, et son existence ne peut être affirmée que si l’on connaît quelque chose de sa nature. Cette nature est exprimée par des attributs, lesquels sont les qualités désirables dont l’homme puise l’observation en lui-même, portées à un degré infini. Les attributs divins qui intéressent plus particulièrement la question du mal sont l’intelligence, la puissance et la bonté.

Pour l’intelligence, M. Ott établit que Dieu est conscient et qu’il possède des représentations finies en nombre illimité. Elles ont une nature propre et des relations nécessaires ; elles ne sauraient se confondre, bien qu’elles puissent former entre elles des systèmes. Elles peuvent offrir la relation du général au particulier. Parmi les idées fondamen-