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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/101

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ANALYSES.bourdeau. L’Histoire et les Historiens.

par l’étude des budgets et l’analyse des votes. Il obtiendra ainsi une série de réponses précises, certaines et générales, à des questions simples, précises et générales. La méthode statistique a pour elle tous les avantages ; elle procède par des enquêtes régulières qui se contrôlent les unes les autres ; elle ne recherche que des faits simples, elle note « combien de fois tel acte, bien spécifié, se produit chez un peuple, sur un territoire, durant un intervalle déterminé » ; elle ne court risque d’être égarée ni par la faculté poétique, puisqu’elle emploie les chiffres, « la plus parfaite des langues », ni par les sympathies ou les antipathies, car « l’étude des fonctions générales nous laisse calmes ». Pour-quoi cette méthode est-elle restée inconnue jusqu’ici ? c’est que la statistique est une invention récente qui suppose des gouvernements éclairés, une organisation savante, un ordre social assuré ». M. Bourdeau esquisse l’histoire de la statistique et montre qu’après d’informes essais, elle est désormais assez fortement constituée pour s’imposer aux historiens.

Grâce à elle, l’histoire sera ce qu’elle n’a jamais été, une science ; pour la première fois elle pourra formuler des lois. Les historiens avaient cherché à expliquer les phénomènes par l’une des trois influences suivantes, « le libre arbitre de l’homme, le gouvernement des dieux, les caprices de la fortune ». La méthode statistique leur montrera que tout est régi par des lois ». Les lois de l’histoire seront de deux sortes ; les lois d’ordre grouperont les phénomènes semblables en indiquant les faits généraux et persistants ; les lois de rapport exprimeront les liens entre les diverses espèces de phénomènes. Au-dessus de ces lois spéciales on entrevoit une loi suprême qui est la loi du progrès. La théorie du progrès est encore une hypothèse, comme la théorie de l’attraction avant Newton ; mais elle prendra bientôt une forme mathématique, et la formule sera analogue à celle de la gravitation : « le progrès semble s’effectuer en raison directe de la somme des gains antérieurement réalisés et en raison inverse des obstacles qui s’opposent à leur diffusion dans le monde ». M. Bourdeau suit l’application de cette formule dans la vie économique, la vie sociale, l’art, la morale. Malgré des perturbations temporaires, il conclut que tous les modes de l’activité humaine évoluent conformément à une loi générale de progrès ».

Ces lois encore hypothétiques peuvent-elles être démontrées par les faits ? M. Bourdeau les soumet à une triple épreuve ; il les confronte : 1o avec les faits de la période historique qui ont pu être observés ; 2o avec les faits du passé préhistorique reconstitués « d’après de légers indices », au moyen des lois du monde présent par l’archéologie, la linguistique, l’ethnographie ; 3o avec les faits de l’avenir. « La faculté de prévoir avec certitude est le signe auquel on reconnaît qu’une science est faite. » L’histoire narrative est incapable de rien prévoir. « L’histoire des fonctions est seule à même de prédire le certain » ; sans doute elle ne décrira pas d’avance un événement futur ; mais elle permettra