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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/428

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entre frères et sœurs. Ce qui assure la cohésion de la société domestique, outre la consanguinité, c’est le fait de vivre ensemble, les uns près des autres, sur un même espace ; c’est aussi la communauté des souvenirs, suite nécessaire d’une existence commune. Ces deux liens sociaux peuvent se développer alors que le premier s’est affaibli et se substituer à lui. Dans ce cas, chacun d’eux donne naissance à une espèce particulière de Gemeinschaft. Il arrive par exemple que, par le seul fait du voisinage et des relations qui en dérivent, des familles jusque-là indépendantes s’agrègent fortement ensemble : alors on voit se produire ce que Sumner Maine a appelé la communauté de village. Quoique cette sorte de communauté soit plus pleinement réalisée dans le village qu’ailleurs, c’est encore elle qu’on retrouve dans la cité ; mais à condition que la cité ne dépasse pas certaines dimensions et ne devienne pas la grande ville de nos jours. Quant à la communauté des souvenirs et des occupations, c’est elle qui donne naissance aux confréries, aux corporations politiques, économiques ou religieuses, où se trouvent réunis tous ceux qui s’adonnent aux mêmes fonctions, ont les mêmes croyances, ressentent les mêmes besoins, etc.

Mais sous ces formes diverses, la Gemeinschaft présente toujours les mêmes propriétés générales. Nous avons indiqué les plus essentielles ; d’autres en découlent.

Dans de telles sociétés où les individus ne sont pas distingués les uns des autres, la propriété est naturellement commune. Tout le groupe travaille en commun et jouit en commun (p. 32). Il n’y a même pas propriété au sens moderne du mot, mais possession (Besitz) et possession collective. Partant pas d’échange. L’échange entre deux ou plusieurs familles indépendantes se conçoit, il est vrai, sans peine, mais non entre les membres d’une même famille. Les choses possédées en commun ne circulent pas, mais elles restent immuables, attachées au groupe. Aussi la propriété par excellence est-elle alors celle du sol. Les services des particuliers ne sont pas salariés, c’est-à-dire vendus pour un prix débattu. Chacun travaille, non en vue d’une rétribution, mais parce que c’est sa fonction naturelle, et il reçoit en retour une part de jouissance que détermine, non la loi de l’offre et de la demande, mais la tradition, le sentiment du groupe représenté généralement par la volonté du chef.

Puisqu’il n’y a pas d’échange, il ne saurait y avoir de contrat. Le contrat suppose deux individus en présence, dont chacun a sa volonté, ses intérêts, sa sphère d’action, d’une part, et de l’autre un objet qui passe des mains de l’un dans celles de l’autre. Or on vient de voir que ces conditions ne sont pas réalisées dans la pure Gemeinschaft. Au sein du groupe il n’y a pas de mouvements, pas de changements dans la distribution des parties, puisqu’il n’y a pour ainsi dire pas de parties. La vie du groupe n’est pas l’œuvre des volontés individuelles, mais elle est tout entière dirigée par les usages, les coutumes, les traditions. Opposant le mot de status au mot de contrat et d’une manière