Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/504

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
494
revue philosophique

d’autre part, il conçut la matière comme un mélange infini de qualités, mélange qui subsiste dans les parties des corps, si loin qu’on en pousse la division. La variété des choses n’est qu’une différence de rapport entre les valeurs intensives des qualités. Par cette théorie, Anaxagore ne fait rien moins que préluder à la théorie kantienne de la matière. — Empédocle n’a rien admis qui ressemble à des forces immatérielles. Il part du dualisme pythagoricien du corps et du milieu vide. Il divise la nature corporelle en quatre éléments irréductibles, et le milieu en deux formes, l’attractive et la répulsive : théorie qui ne relève que d’un empirisme grossier.

Tels sont les traits principaux sous lesquels nous apparaissent, chez notre auteur, les doctrines des physiologues. Tannery ne se borne pas à établir ces résultats historiques. Distinguant, suivant une règle précise, dans les doctrines des physiologues l’élément scientifique et l’élément proprement philosophique, il soumet ce dernier à un examen dont l’intérêt est tout actuel. La science finit, selon lui, et la philosophie commence, là où, franchissant les questions solubles par l’observation et le calcul, on aborde celles qui dépassent la portée de ces moyens de connaître et qui, dès lors, paraissent destinées à rester éternellement ouvertes. Ces questions offrent ce caractère singulier qu’à propos d’elles les limites du connaissable et de l’inconnaissable ne peuvent être rigoureusement déterminées. Or il se trouve, suivant Tannery, que la plupart des hypothèses proposées par les anciens physiologues pour résoudre les problèmes philosophiques proprement dits sont, dans leurs traits essentiels, recevables ou discutables aujourd’hui encore. Telle est, par exemple, la répétition indéfinie de la genèse et de la destruction professée par Anaximandre. Tannery montre comment dans cette doctrine est déjà contenue l’idée de la loi de rythme, d’intégration et de désintégration périodiques qui caractérise l’évolutionisme de Herbert Spencer, et que, s’il y a de sérieuses objections contre cette doctrine, il n’y en a pas moins contre la thèse contraire de la stabilité, mise en avant par Xénophane et reprise sous différentes formes par les modernes : de telle sorte que la question soulevée par Anaximandre est, pour nous-mêmes, une question pendante. Telle est encore la conception de la matière imaginée par Anaxagore : cette conception, selon Tannery, peut conduire à une théorie tout aussi propre que la théorie atomique à coordonner les lois particulières des phénomènes naturels. On voit que les systèmes des anciens physiologues ne sortent pas déprécies de la nouvelle épreuve à laquelle ils sont soumis. Tout au contraire, ils reprennent vie et actualité : sous les traits que leur donne Tannery, ils ont la forme même de nos systèmes modernes : ils les préparent dans leur partie scientifique, et les devancent dans leur partie philosophique. Tout positiviste modéré de nos jours qui, sans admettre que les questions d’origine et de fin comportent des réponses certaines, permet à l’esprit humain de s’amuser à faire des conjectures sur ces problèmes en prenant dans la science son point de départ, se trouve