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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/621

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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

hommage aux travaux de M. Sabatier sur le même sujet et indique que ce savant, après avoir incliné pour la thèse de l’Apocalypse juive, a abouti à une solution assez différente. « En réalité, dit M. Schœn, M. Sabatier renversait l’hypothèse de M. Vischer ; au lieu de voir ans l’Apocalypse une œuvre juive traduite et annotée par un auteur chrétien, il y trouvait un livre chrétien enrichi d’oracles juifs plus anciens. » Dans une vive et substantielle brochure, M. Sabatier nous donne, en effet, ses conclusions, qui seront accueillies avec un réel intérêt et dont il est visible que M. Schœn a subi l’influence dans une grande mesure.

M. Sabatier commence par déclarer qu’on ne saurait opposer d’argument préjudiciel à l’idée que l’Apocalypse traditionnelle ne serait que « l’édition chrétienne », augmentée d’une conclusion et ornée de notes intermittentes, d’une Apocalypse primitive juive qu’un disciple de Jésus a voulu approprier à l’édification des chrétiens de son temps. « L’hypothèse est en harmonie avec les mœurs littéraires de l’époque, les transformations d’ouvrages plus anciens, les interpolations intéressées étant alors un procédé courant, pratiqué dans toutes les écoles. N’a-t-on pas notamment christianisé les anciennes apocalypses juives d’Hénoch, d’Esdras, des Douze Patriarches ? »

Analysant avec finesse et compétence l’Apocalypse, M. Sabatier y signale une « cassure » au chapitre X au moment précis où intervient un ange, porteur d’un petit volume que le voyant est invité à avaler et qu’il avale, en effet. Or, ce livre serait un recueil de prophéties et l’écrivain a simplement voulu marquer par ce détail qu’il va faire place dans son livre à un recueil d’oracles apocalyptiques déjà rédigés et qu’il insère tels quels dans la trame du poème. Ce recueil comprenait, outre les morceaux dont M. Schœn lui aussi admet l’origine juive et qui ont été désignés tout à l’heure, quelques fragments encore. « Tous ces oracles, dit le savant professeur de théologie, forment un ensemble homogène. Ils sont tous d’origine juive, sont, animés du même souffle de piété juive, correspondent à des idées ou à des espérances exclusivement juives. Ils se séparent du reste de l’Apocalypse et se rapprochent les uns des autres par le ton et par la couleur. » M. Sabatier insiste sur cette circonstance, que « tous ces oracles sortent d’une même situation historique ; tous jaillissent vibrants et colorés de l’effroyable catastrophe de l’an 70 ; tous datent de la veille ou du lendemain de la ruine de Jérusalem… La critique a donc eu raison en trouvant dans ces oracles la preuve de la date 69 et 70. Son erreur a été de conclure du particulier à l’ensemble. »

On voit que les conclusions des deux travaux que nous analysons sont sensiblement identiques. Leurs auteurs rejettent l’hypothèse de l’Apocalypse juive, mais ils ne maintiennent plus la date précédemment admise par les écoles d’exégèse pour la composition de l’Apocalypse de saint Jean et la sacrifient sans hésitation pour se rapprocher de la date admise par la tradition ecclésiastique, qui place le livre