Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/102

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mitives vagues, vides, ni abstraites, ni concrètes que nous avons des objets de notre expérience et qui sont composés d’émotions, d’idées, d’images, de sensations, se désintègrent peu à peu, parviennent à se dissocier les uns d’avec les autres et peuvent entrer en de nouvelles combinaisons. L’état primitif fait place alors à une sorte d’état intermédiaire mixte, dans lequel les éléments en entrant dans des combinaisons différentes traînent avec eux un certain nombre d’autres éléments qui les accompagnaient dans la conception primitive, ce qui nuit à la cohérence du nouveau système psychique ainsi formé. Peu à peu ces associations nuisibles s’affaiblissent si l’évolution se continue régulièrement, elles finissent par ne pas nuire à la netteté des idées et quelquefois même elles peuvent rendre service à l’esprit en les faisant exprimer avec plus de force et d’éclat, c’est l’usage de la métaphore poétique par exemple, mais ces dernières associations peuvent se rompre encore et on a alors des tendances générales et abstraites qui s’incarnent dans diverses manifestations particulières selon les besoins et les occasions, sans que aucun élément de ces tendances particulières passe dans une autre, à l’exception de ceux qui constituent la tendance générale. Enfin nous avons vu que la tendance générale et abstraite pouvait entrer en exercice à quelque degré sans se particulariser et que le fonctionnement suffisamment systématique donnait lieu à des phénomènes psychiques faibles qui constituent proprement les représentations et les idées abstraites et générales, tandis que, plus systématique encore, il ne s’accompagnait pas de conscience. Ainsi la réalité psychologique des idées abstraites et générales nous a paru prouvée par l’expérience et expliquée par ce processus général de désintégration psychique dont elles sont un moment particulier.

À côté de cette désintégration un processus parallèle d’intégration se produit, nos idées deviennent de plus en plus synthétiques et quelques-unes de plus en plus concrètes, toutes deviennent, non pas toujours, ni peut-être même généralement, mais lorsque la systématisation de l’esprit s’opère progressivement, plus précises, plus nettes, mieux définies, moins vagues, c’est-à-dire i)lus distinctes de ce qui n’est pas elles. Une idée abstraite peut n’avoir rien de vague, et souvent elle est moins vague à mesure qu’elle devient plus abstraite. Les limites réelles des corps telles que la perception nous les donne sont bien moins nettes que les lignes des figures géométriques abstraites. Ce double processus d’association et de dissociation qui s’opère continuellement et produit sans cesse, quand tout va bien, une systématisation croissante de notre organisation mentale, constitue réellement la vie de l’esprit.