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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/108

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M. Joseph Serre ne sait auquel entendre : « La matière est-elle ? Berkeley en doute. — L’âme est-elle ? M. Büchner le nie. — Jésus est-il Dieu ? Non, dit Strauss. — Dieu est-il accessible ? Non, dit V. Hugo, mais il est. — Dieu est-il ? Non, dit Renan, mais il devient. — Que croire ? — La vérité est-elle au moins connaissable ? Non, dit Kant. — Elle existe, au moins ? Non ! dit Gorgias (p. 4). »

La spéculation aboutit donc au doute. Cependant si l’humanité est divisée sur les questions métaphysiques et religieuses, elle est d’accord sur un point. Elle aime la vertu et elle déteste le vice. « Ici, Paul Bert est d’accord avec Bossuet, et la morale indépendante avec la morale évangélique (p. 12). » Et l’auteur trace alors un portrait éloquent de l’homme de bien. « Voici l’homme de bien qui passe, suivons-le. Est-il juif, mahométan, bouddhiste, chrétien, disciple de Socrate ou de Hegel ? — Dans l’hypothèse peu importe. C’est un pur honnête homme…, sensible aux plus doux murmures de sa conscience restée délicate et virginale, d’une bonne volonté absolue… Il ne se contente pas de ne pas faire le mal, il fait le bien. Non seulement il n’ôte rien, mais il donne… Il se renonce et vit pour les autres, car la charité c’est la justice. Il fait cela tous les jours de sa vie, et son idéal est si grand, que cela fait, il reste humble. Voilà le juste. Voilà l’homme moral, complet, le pur honnête homme, le saint anonyme et universel, celui qui fait taire toutes nos contradictions (p. 15). »

Ainsi tous les hommes sont d’accord pour reconnaître dans la vertu la mère de tous les biens, mais, en fait, l’humanité pratique peu la vertu. Comment la lui faire pratiquer ? En la lui faisant comprendre et aimer, répond M. Serre, en l’instruisant. « La vérité donne la vertu et la vertu tous les biens (p. 32). » Il faut donc chercher la vérité. Comment la trouver ? « La grande inconnue c’est la vérité. Mais tous affirment d’elle une chose, c’est qu’elle est bonne, c’est que le bien en découle comme le fleuve de sa source. Et ce point suffit. Le fleuve connu, la source est vite découverte. Il suffit de remonter le fleuve jusqu’aux sommets (p. 32). » Ainsi la connaissance du bien doit amener à la découverte du vrai.

La philosophie, la religion qui seules pourront nous donner la vertu seront seules la philosophie, la religion vraies. — La philosophie de l’identité des contraires peut-elle nous donner la vertu ? Elle nous donnerait la tolérance, mais ne peut donner aucune autre vertu. « Gorgias à tort, puisqu’il peuplerait le monde de coquins fiers d’être identiques à l’honnête homme (p. 36). » Donc la vérité existe,

Soit, dit Kant, mais nous ne pouvons pas la connaître. Un homme convaincu de cette idée dira donc « que tout est manière de voir, que la laideur du mal est purement subjective et qu’un œil autrement organisé verrait blanc ce que les hommes voient noir. La bonne philosophie pour les ivrognes et les assassins (p. 41) ! » Pour que la vertu puisse exister, il faut donc que la vérité existe et qu’elle soit connaissable.